Spider-Verse : Le Bilan
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La sortie du Spider-Man #10 en kiosque nous permet de faire un point sur Spider-Verse et l'avenir du Tisseur.

Nous vous avons donné régulièrement des nouvelles de la saga Spider-Verse et de ses ties-in, il est temps maintenant, après la publication de l'épilogue dans le mensuel arachnéen d'octobre, d'en venir au bilan de cet évènement détenant le record d'apparitions de Spider-Men (et Women).
Mais tout d'abord, un rapide point sur le contenu de la revue.

Les deux premiers épisodes, tirés des séries Amazing Spider-Man et Spider-Woman, constituent donc la conclusion du récit entamé en juin.
Dan Slott nous montre essentiellement les rescapés rentrant dans leurs univers d'origine, ainsi qu'un dernier affrontement entre Spidey et Otto (le Spider-Man Supérieur). Pas forcément très bien fait car, au final, on en viendrait presque par éprouver de la sympathie pour Otto, trop facilement malmené et envoyé vers une mort certaine.
Jessica Drew, elle, commence une nouvelle vie avec à la clé un futur changement de costume et une démission de son poste chez les Avengers.

La suite se compose d'un épisode de Spider-Man 2099, pas très folichon d'ailleurs (surtout pour du Peter David), et de deux (pouah !) épisodes du gros ratage que reste New Warriors. Il y a bien quelques vannes dans les chapitres du mois, mais toujours cette même action insipide et ennuyeuse au possible. Notons que l'absence de résumés revenant sur le contexte de chaque épisode se fait cruellement sentir. Mais bon, on le sait bien, Panini, ce n'est pas Urban.
Un ensemble donc assez moyen, mais qui nous permet de nous pencher une fois encore sur le destin éditorial du Monte-en-l'air.


Si Spider-Verse a tenu ses promesses sur un point, c'est bien celui du nombre d'intervenants liés au Tisseur (Spider-Men et Spider-Women, mais aussi robots, clones, animaux... bref, la totale). Ce fut un vrai plaisir de retrouver anciennes incarnations (comme Mayday Parker) ou créations entièrement nouvelles (la déjà populaire Spider-Gwen et quelques originalités, dont certaines sont maintenant recensées dans notre grand dossier sur les différents costumes de Spider-Man).
Le côté "album de famille" et "foire aux costumes" était aussi amusant qu'assumé.

Dans les points négatifs, par contre, l'on peut clairement s'étonner du manque d'ambition du récit. Rappelons que les deux affrontements qui avaient opposés Morlun à Peter (à l'époque du run de Straczynski, cf. ce dossier puis la saga The Other) avaient été particulièrement épiques et dramatiques. Dans Spider-Verse au contraire, alors que cette fois c'est toute la famille des Héritiers qu'il faut affronter, les combats sont ternes et les Spider-Men tombent sans panache ni frissons pour le lecteur.
L'idée de départ, excellente, est franchement sous-exploitée et noyée dans une narration "pépère" et sans surprise. Le minimum syndical. Ou plutôt la juste place d'un Slott qui ne fut bon que pendant la période Superior.


Outre les éléments liés à la saga Spider-Verse, l'on peut aussi s'interroger sur l'évolution du Tisseur mais également sur la frénésie des events du côté de la Maison des Idées (ce nom finit par être plus ironique qu'autre chose).
Spider-Man tout d'abord. Rappelons que One More Day, un terrible retour en arrière, très maladroit de surcroit, avait été mis en place par Quesada pour "revenir aux fondamentaux du personnage". Non seulement la méthode fut cavalière mais l'idée était particulièrement stupide (les fondamentaux ne se trouvent nullement dans le célibat de Spidey). Mais admettons, Marvel voulait revenir à un Spider-Man plus classique. Or, depuis, l'éditeur n'a cessé de massacrer le personnage, l'envoyant dans des sphères qui ne sont pas les siennes.

Le propre de Spidey, c'est d'être un "petit" surhumain [1], un héros de quartier, qui s'occupe d'agressions ou de cambriolages et non de menaces cosmiques. Le faire rejoindre les rangs des Vengeurs ou lui faire endosser un rôle de chef d'armée comme dans Spider-Verse va à l'encontre de la nature même du personnage.
Même chose pour les moyens financiers et techniques démesurés dont il a hérité ces derniers temps. Peter Parker n'est pas un Tony Stark ou un Bruce Wayne, il galère pour payer son loyer ou remplir ses lance-toiles !

Pire encore, alors que le personnage s'affadit et s'égare, Marvel nous impose un rythme effarant de crossovers et events, balancés à flux tendu.
Il n'y a plus à proprement parler "d'évènements" puisque l'évènement est constant, l'on passe simplement de l'un à l'autre. Les menaces soi-disant "ultimes" et les confrontations globales sont devenues la norme. Tous les personnages majeurs se croisent constamment dans leurs séries mères. Ce qui était naguère exceptionnel et attirait par son côté exotique est devenu une routine dénuée de charme comme de fond.


Spider-Man (donc sa série historique en réalité) n'a plus le temps de reprendre le cours de sa vie, de vivre des aventures qui lui sont propres, de retrouver une dimension humaine, "locale". Il est condamné, avec tous ses collègues super-héros, à une longue et illusoire fuite en avant, à coups d'évènements survendus. L'accroche, le "buzz" du moment, la petite illustration polémique ou les infos distillées au compte-gouttes - et commentées jusqu'à la nausée par une masse ivre du vide - comptent finalement plus que le récit.
L'histoire, qui devrait être patiemment travaillée et mise en scène, n'est plus qu'un détail dans cette usante course à l'event et au spectaculaire en plastique. Spider-Verse est déjà terminé que l'on nous parle déjà de Secret Wars, qui laissera place rapidement à un autre récit, tout aussi fade mais tout aussi bien vendu par des commerciaux sans âme, sans connaissances littéraires, sans compétences techniques et sans amour pour les êtres de papier dont ils font la pub.

Difficile de s'enthousiasmer encore pour des comics qui ont perdu la flamme précieuse qui les rendait remarquables. L'on peut cependant publier à flux tendu sans pour autant verser dans la médiocrité. Sans se transformer en usines à papier. Mais pour que la qualité revienne, non plus le temps d'un arc ou de quelques pages mais s'installe durablement, il faudrait peut-être que Marvel s'interroge sur ses propres fondamentaux. Ou en tout cas ceux que l'éditeur souhaite mettre en avant.
Léon Bloy a comparé un jour le monde moderne à une Atlantide submergée dans un dépotoir. Il est à craindre que cela soit malheureusement vrai et applicable à bien des domaines, dont celui de l'édition en général ou des comics mainstream en particulier [2].


Contre la logique d'usine et les réflexes pavloviens, il faut des auteurs, des plumes libres et audacieuses. Il faut réenchanter la fiction, que les pages ne soient plus un radotage constant et convenu mais une jolie parenthèse dans la souffrance du réel. Un moment apaisé dans le hurlement du monde. Ou au moins un hurlement plus digne, plus intéressant, plus violent même s'il est assumé et correctement amené par des écrivains et éditeurs ne faisant pas l'économie d'un travail et d'un investissement intellectuel nécessairement au centre de leur métier.

Le livre est aussi un bien de consommation. Mais il ne peut être que cela.

 
[1] Attention ici à ne pas confondre sa position éditoriale, primordiale, puisqu'il est le personnage le plus populaire de Marvel, et sa position en tant que personnage de l'univers 616, qui est anecdotique.
[2] Des secteurs de nos jours non plus en mal de talents mais carrément de compétences élémentaires. Bien évidemment il s'agit d'une généralité et d'une tendance globale, cela n'empêche nullement des professionnels consciencieux et efficaces d'être encore à l'œuvre ici et là.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La Spider-Family au grand complet.

  • Un faux "event" de plus, coincé entre le précédent et le suivant, tout aussi insipides.
  • Un Spider-Man malmené par des auteurs et éditeurs sans vision à long terme.