Sélections UMAC - Anciens Wargames
Par

Les Sélections UMAC nous permettent d'aborder de nombreux sujets, comme la musique, les polars au cinéma, les séries TV, les romans SF ou encore humoristiques. Cette fois, c'est de jeux vidéo et de guerre qu'il s'agit puisque nous allons aborder le wargame au travers de "légendes" ou "ancêtres" de la simulation de bataille numérique.
Nous nous sommes pour cela limités aux jeux en tour par tour et relativement grand public.


Tobruk 1942 - Du Sable et des Blindés

Nous commençons notre voyage dans le temps en allant à la rencontre d'un des dinosaures du genre, Tobruk 1942 sur Amstrad.
Nous sommes en 1986 et, forcément, la fenêtre principale, qui représente une petite partie de l'Afrique du Nord (s'étendant de Tobrouk à Gazala et Bir Hakeim), est d'une austérité qui aujourd'hui peut prêter à sourire : villes et unités sont représentées par de simples carrés, non illustrés, et rien ne figure sur la carte si ce n'est quelques routes et un vague relief.

Mais bon, l'essentiel dans un jeu de ce genre n'est de toute façon pas l'aspect graphique. Heureusement en ce qui concerne les développeurs de Tobruk.
Le défi reste cependant relativement simple. Bien que l'on puisse jouer indifféremment les forces de l'Axe ou les Alliés, c'est surtout la coalition germano-italienne qui s'avère la plus intéressante à incarner (les alliés étant cantonnés à un rôle défensif et à une quasi immobilité).

Une large zone minée empêche une progression rapide vers l'est. La seule stratégie possible consiste à laisser les lentes divisions italiennes s'occuper du déminage pendant que les divisions de panzers vont, elles, foncer vers le sud. Une fois le verrou de Bir Hakeim liquidé, il suffit ensuite que les forces allemandes remontent vers le nord pour faire la jonction avec les italiens.
Pas une grande liberté de manœuvre, c'est clair, mais une petite subtilité quand même concernant l'appui aérien. En effet, chaque bombardement se décide un tour à l'avance. Si l'adversaire déplace ses troupes entre-temps, on ne largue alors ses bombes que sur des dunes de sable (cette subtilité se contre tout de même facilement lorsqu'on joue l'Axe puisqu'il suffit de bombarder uniquement les villes pour avoir un taux d'efficacité optimum).

Joie et bonheur : plein de petits carrés sur une carte orange !

Avec le recul, rien de bien folichon, mais l'impression à l'époque de peser sur l'issue d'une bataille historique donnait tout son charme à ce petit jeu.


Battlefield Germany - Quand la Guerre Froide monte en température

Un an plus tard, Battlefield Germany, sorti en France sous le nom Bataille pour RFA, met une bonne claque à ce bon vieux Tobruk en proposant un champ de bataille bien plus vaste et des unités bénéficiant de silhouettes.

Cette fois, il ne s'agit plus de la seconde guerre mondiale mais d'un hypothétique conflit opposant les forces de l'OTAN à celles du Pacte de Varsovie. Eh oui, les années 80, ce n'était pas que Jeanne Mas et la Compagnie Créole, il y avait aussi la menace soviétique.

L'aire de jeu est cette fois bien plus grande puisqu'elle couvre toute l'Europe centrale (en fait, la RFA et la RDA, le Benelux, le nord-est de la France, ainsi qu'une partie de la Suisse, de l'Autriche, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne).
Là encore, l'on peut choisir le camp que l'on souhaite incarner. Il est d'ailleurs très facile de gagner avec l'un ou l'autre malgré la supériorité soviétique en matière de blindés.
Contrairement à Tobruk et son environnement désertique, la carte est ici plus variée, avec des hexagones représentant les différents types de terrain (forêts, montagnes, plaines...).

Le conflit est conventionnel, c'est-à-dire qu'il est impossible d'utiliser des armes nucléaires, même tactiques. L'appui aérien, présent, est représenté par des "points" à attribuer, chaque tour, à chaque assaut.
Pour l'essentiel, il suffit de bien bourriner (en empilant un maximum d'unités autour de la cible choisie) et en général, ça passe, l'intelligence artificielle faisant justement preuve d'une intelligence très limitée.

Comparé à Tobruk, c'est presque beau...

Le petit plus provient des unités nationales très variées. Les français font même une apparition tardivement dans le jeu avec la (pour le coup mal nommée) FAR (Force d'Action Rapide).
À noter qu'il est impossible de franchir les reliefs et de violer la neutralité de la Suisse.

Malgré ce qui paraissait être à l'époque une carte immense, et un incroyable nombre d'unités, la prise en main était facile et le défi modeste.


Fantasy General - Haches, Sorciers et Gobelins

L'on entre dans la période moderne avec Fantasy General, un wargame d'Heroic Fantasy basé sur le moteur du célèbre Panzer General.

L'on est tout de même dix ans plus tard (et sur PC), autant dire que l'aspect visuel n'a plus rien à voir. Les cartes sont fort belles et les illustrations, servant à présenter chaque unité, sont magnifiques.
Surtout, le monde imaginaire présenté ici change un peu (au moins pour l'ambiance si ce n'est le système de jeu) des traditionnels wargames basés sur les conflits modernes.
Pour les unités par contre, les grandes "familles" sont toujours là, même si les dragons remplacent les Messerschmitt.

Une longue campagne propose un défi plutôt relevé (permettant de conserver ses unités survivantes, de scénario en scénario). Mieux encore, un éditeur permet de scénariser ses propres batailles, rallongeant d'autant la durée de vie.
Les unités sont nombreuses et extrêmement variées : engins de siège, bestioles volantes, sorciers, héros, samouraïs, légionnaires, morts-vivants, canons, ballons dirigeables, orcs, bref, de quoi renforcer nettement l'aspect gestion (chaque unité ayant un coût et des capacités spécifiques, par exemple une défense plus ou moins grande contre la magie).

Des dirigeables, des machins à vapeur, des chevaliers, des orcs, un bel assortiment quoi.

Enfin, le choix d'un Champion, en début de partie, permettait de disposer de divers bonus (guérison, expérience, coûts réduits, moral, etc.) face au terrible Seigneur de l'Ombre.

Une stratégie demandant un minimum de subtilité, un graphisme agréable, des musiques d'ambiance excellentes et la possibilité de créer ses propres scénarios, le tout dans un univers à la Tolkien, ont rendu ce jeu mythique.


Advanced Tactics WWII - Histoire et Uchronie

Plus récemment encore, Advanced Tactics : World War II s'est révélé plutôt intéressant en ce qui concerne le terrain, pourtant encombré, de la seconde guerre mondiale.

Tout d'abord, Advanced Tactics permet une certaine liberté dans la composition des unités, tout en restant aisément compréhensible et accessible.
Chaque unité, symbolisée par une icône sur la carte, va en effet être composée d'éléments de base servant à la définir, ces derniers apparaissant dans la partie inférieure droite de l'écran.
Par exemple, une unité blindée ne sera pas uniquement définie par cet aspect mais pourra être composée bien évidemment de tanks mais aussi de divers éléments de soutien, tels que mortiers, bazookas, mitrailleuses lourdes, halftracks, etc.

Bien sûr, il faut conserver une certaine logique dans la composition de ces unités. Une unité d'infanterie par exemple aura besoin de camions pour la rendre motorisée, donc plus mobile.

Les éléments qui composent une unité sont illustrés et cliquables, offrant ainsi une petite explication sur leur rôle tactique.

Dans Advanced Tactics, comme bien souvent dans les wargames, l'approvisionnement tient un rôle capital. Il est impossible, comme dans la réalité, de foncer dans le tas sans se préoccuper de ce que les unités reçoivent comme matériel, carburant, munitions, etc.
Une unité coupée de ses lignes va vite devenir totalement inutile si l'on n'y prend garde (elle ne pourra plus se déplacer ni même se défendre efficacement). L'hiver (les saisons étant gérées) rend ce point encore plus crucial. Et croyez-moi, vous verrez vite pourquoi le beau temps est l'ami de tout stratège.

Là où ce jeu possède une particularité excitante, permettant une grande liberté, c'est dans sa gestion des options "politiques", qui vont jouer un grand rôle parfois dans l'issue d'un scénario.
Prenons la bataille intitulée Der Endsieg. Il s'agit de l'ultime assaut des alliés contre le Reich. Les soldats allemands vont maintenant se battre sur leur propre territoire, ils sont dans une situation désespérée.
Nous connaissons tous l'issue historique du conflit, il est donc toujours plus intéressant sur un plan militaire de prendre le camp des "perdants", afin de relever un défi plus ambitieux.

Toutes les unités peuvent être upgradées, moyennant un coût évidemment.

Si l'on joue le scénario tel quel, avec un souci de la réalité historique, il est extrêmement difficile, pour le camp allemand, de faire face. Aussi, d'intéressantes options politiques ont été ajoutées, afin de quitter l'Histoire pure et de basculer dans l'uchronie.
L'option Wunderwaffen (la plus proche de la réalité) permet aux allemands de bénéficier d'un bonus de "political points", permettant notamment de mettre en œuvre plus d'unités. L'option Hitler's Last Hope se base sur un conflit qui, en avril 1945, dégénère et oppose alliés et soviétiques. Mais, surtout, l'option à l'effet le plus dévastateur est Himmler's Diplomacy. Dans ce cas de figure, les allemands parviennent à signer une trêve séparée avec les alliés, ce qui va avoir des conséquences énormes.

Bon, au niveau de la crédibilité stratégique, on va voir que c'est un peu n'importe quoi, mais au niveau du jeu, on peut appliquer ce que j'appellerais la technique de la "baffe aller-retour".
Vous avez donc enclenché l'option Himmler's Diplomacy mais ce brave Heinrich a besoin de temps pour convaincre les alliés. Or, l'on n'est qu'en décembre 1944. Il va falloir temporiser.
Même si c'est sur le front est qu'il faut se concentrer, l'erreur à ne pas commettre est de ne pas suffisamment résister à l'ouest. Notamment parce qu'il ne faut pas perdre trop de villes qui sont autant de points stratégiques et de moyens de production. Les premiers tours sont donc très durs, on morfle sévère. Par contre, dès que la trêve est signée, non seulement la totalité de l'approvisionnement peut être basculée à l'est, mais les armées présentes sur le front ouest vont pouvoir être envoyées vers les Russes fissa (enfin, ça dépendra de leur mobilité, il est important de mécaniser toutes ces unités dans les premiers tours).

Berlin (en haut, à gauche), terriblement proche du rouleau-compresseur russe.

Même si la bataille est longue, les Allemands (si vous ne faites pas trop le mariole) finissent par triompher. Jusqu'ici, ça peut encore se tenir d'un point de vue géopolitique. Par contre, une fois les soviétiques balayés, rien ne vous empêche de réaffecter l'ensemble de vos armées à l'ouest, d'attendre un peu pour les renforcer (quitte à ce que cela prenne des mois, voire des années), et ensuite de déclarer de nouveau la guerre aux alliés !
Et de les vaincre.
D'un point de vue réaliste, on ne voit pas pourquoi les armées alliées resteraient l'arme au pied alors que l'Allemagne se relève et montre des signes d'hostilité. C'est presque un bug purement logique qui donne donc un goût amer et peu crédible à cette possibilité de victoire totale.


Nous ne confondons pas le jeu et la réalité. Le premier est un choix, la seconde est imposée.


Qu'il mette en scène un combat contre des orcs ou des soviétiques, qu'il se déroule à l'époque moderne ou dans l'antiquité, qu'il soit ultra-réaliste ou offre au contraire des possibilités de remanier l'Histoire, le wargame, ce jeu d'échecs fantastique, aux possibilités étendues (prenant en compte le terrain, la météo, la nature des unités, le moral, l'approvisionnement et bien d'autres facteurs encore), se révèle un défi intellectuel fabuleux inspiré, malheureusement, par des conflits et des sacrifices bien réels.
Quant au fait de "jouer à la guerre", cela peut paraître paradoxal au premier abord. L'approche froide et dénuée de violence visible du wargame peut même soulever chez certains des réserves morales (cf. cet article dans un registre similaire). À ceux-là je réponds que, pas plus que la dinette ne fait de la petite fille un futur cordon bleu, le jeu de guerre n'a jamais fait d'un enfant un tueur ou d'un adulte un tyran. Le jeu, tout comme la fiction, est un processus d'adaptation, d'apprentissage et de catharsis essentiel. Il peut même avoir souvent une valeur éducative et culturelle.
Le wargame ne fait jamais l'apologie de la guerre mais celle de l'intelligence. Il s'agit de résoudre un problème, plus ou moins complexe, mais certainement pas plus malsain que celui proposé par une grille de mots-croisés. Bien entendu, cela ne nous dispense pas de notre responsabilité d'adultes qui consiste, en tant que parents ou professeurs, à instruire et donner un contexte "humain" à des jeux qui peuvent réellement devenir des passerelles vers l'Histoire et la connaissance.
Dans ce même but pédagogique, nous vous conseillons la lecture de cet article et la visite éventuelle des lieux qu'il évoque.


Better to fight for something than live for nothing.
Général George Smith Patton