Civil War II en Marvel Deluxe
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Il y a un mois à peine sortait en Marvel Deluxe la saga Civil War II. Tout de suite, le point sur l'ouvrage et un petit bilan de l'event.

Nous avions évoqué Civil War II en début d'année (cf. cet article), sans cacher que la thématique, très largement inspirée de la nouvelle de Philip K. Dick, The Minority Report, possédait un énorme potentiel. En effet, l'intrigue est basée sur la possibilité pour Ulysse, jeune Inhumain, de prédire l'avenir. Un don que Carol Danvers, alias Captain Marvel, s'empresse d'exploiter pour contrer diverses menaces.
Malheureusement, une intervention se passe mal et James Rhodes reste sur le carreau alors que Jennifer Walters (She-Hulk) est, elle, dans un état critique. Bientôt, Tony Stark s'oppose ouvertement à Danvers. Celui-ci a en effet des doutes sur le bien-fondé des prévisions d'Ulysse. La tension monte alors que les visions de l'Inhumain sont de plus en plus terrifiantes...

Voilà donc le sujet central du récit, posant un épineux dilemme moral : peut-on changer le futur en arrêtant un criminel avant qu'il ne commette un crime ou doit-on au contraire préserver ce même futur en considérant que nul ne peut être accusé de ce qu'il n'a pas encore fait, au risque de condamner des innocents ?
Tout comme pour la première saga Civil War, il y a déjà dix ans, il n'y a donc pas a priori de "mauvais" camp, chacun étant persuadé d'agir pour le mieux. Cela renvoie d'ailleurs au problème bien réel du profilage de terroristes qui, pour être efficace et permettre d'épargner des vies, demande d'agir avant que les faits ne se produisent.


Brian Michael Bendis, aux commandes du scénario de la série principale, livre un récit certes intéressant mais n'exploitant finalement que peu les énormes possibilités que la thématique offrait. Tout comme pour Millar lors du premier opus de Civil War, l'on a un peu l'impression que l'auteur prend trop parti, qu'il fait agir ses personnages (surtout en l'occurrence Carol Danvers) avec trop peu de discernement pour donner une chance égale à chaque camp dans l'esprit du lecteur. Dommage car c'est pourtant ce qui permettrait de donner toute sa dimension dramatique à l'affrontement : dresser un portrait positif de chaque clan en montrant leur logique. L'accent n'est pas assez mis sur les possibles vies sauvées et, tout comme Stark il y a dix ans, qui était parti dans un trip répressif assez extrême [1], Danvers semble perdre toute mesure et a la menace bien trop facile.
Finalement, l'aspect philosophique finit par se perdre un peu au fil des épisodes pour laisser la place à des affrontements plus ou moins spectaculaires et à un jeu d'alliances qui vacillent ou se forment.

Notons que Bendis s'en sort tout de même très bien, notamment grâce à des dialogues enlevés et bourrés d'humour et de second degré (parfois avec quelques références qui échapperont peut-être au novice). On passera sur l'étrange choix, à l'ancienne, de masquer les jurons dans la VF [2].
Outre le prologue, l'épisode du Free Comic Book Day et les huit chapitres de la saga titre, l'on trouve encore dans ce Deluxe The Fallen et The Accused, deux one-shots centrés sur l'une des victimes du récit et son assassin. Le choix de ces deux comics est judicieux (même Panini ne peut pas tout le temps taper à côté, ne serait-ce que pour des raisons statistiques) puisqu'il permet d'apporter à la fois de grands moments d'émotion (avec la réaction des proches de la victime) et une véritable réflexion, avec le procès du meurtrier (lui-même loin de tout manichéisme).



Tony Stark et Peter Parker, sous la plume de Brian Michael Bendis.

— Imaginons que ce type vienne nous voir en courant en criant : « Oh mon dieu, je viens d’avoir une vision de Hulk couchant avec Ultron… et un bébé naissait… et le bébé était la réincarnation d’Hitler. »
— Je paierais pour voir ce film.
— Tu m’étonnes. Mais est-ce qu’on arrête Hulk avant que ça n’arrive ? Est-ce qu’on l’enferme avant qu’il ne fasse quelque chose qu’on n’apprécie pas ?



Le final laisse toutefois le lecteur sur sa faim, avec un statu quo un peu fade en comparaison du drame principal qui intervenait bien plus tôt dans le récit.
Graphiquement, c'est par contre un sans faute, David Marquez livrant de belles planches, certaines étant même très impressionnantes (surtout en ce qui concerne les visions apocalyptiques) et méritant bien l'appellation de splash pages. L'on retrouve également avec plaisir d'autres artistes bien connus, comme Mark Bagley ou Olivier Coipel.
Niveau bonus, rien à part des covers, dont certaines sont franchement trop petites pour être appréciées (quatre sur une même page, avec de larges marges en plus). La traduction de Jérémy Manesse est de bonne qualité, par contre, l'on regrette, comme toujours avec les vendeurs d'autocollants, qu'il n'y ait aucune présentation des personnages pour faciliter la compréhension des nouveaux lecteurs, l'introduction de l'ouvrage étant bien trop insuffisante et généraliste pour expliquer le contexte complexe dans lequel l'histoire se déroule.

Une saga agréable à suivre mais qui n'exploite qu'imparfaitement sa thématique.
Plutôt bon tout de même dans l'ensemble.   



[1] Avec des arrestations massives et la construction d'une prison dans la zone négative, ce qui donnait à Stark et ses alliés l'apparence de fanatiques alors qu'ils étaient les seuls à respecter la loi mais aussi la volonté du peuple, voire le simple bon sens.
[2] L'on avait déjà abordé le sujet (dans cet article par exemple), mais l'on se demande toujours si Panini pense vraiment s'adresser à des enfants (il existe des gammes de comics pour les plus jeunes, celle-ci est plutôt axée ados et adultes). Et même dans ce cas, en est-on encore à protéger les "chastes" oreilles/yeux des quelques "merde" ou "putain", justifiés par les scènes ? Surtout à l'époque du net (voire d'un certain sous-rap), ces prudes @*!% sont parfaitement ridicules et bien en deçà de ce que l'on entend dans une simple cour d'école. Certains feraient mieux de faire gaffe à la concordance des temps plutôt que de nous servir un hypocrite politiquement correct qui n'a rien à faire dans l'édition.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une thématique passionnante.
  • De superbes planches.
  • L'humour et les dialogues à la Bendis.
  • Le choix des deux épisodes supplémentaires.

  • La thématique sous-exploitée en raison d'un trop grand parti pris.
  • Aucun effort rédactionnel de l'éditeur français, pour le prix (30€), ça fait clairement mal au cul.