Ghost in the Shell, perfect edition
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Alors que se profilait la sortie (redoutée par beaucoup mais néanmoins attendue) de la version live de l'anime de Mamoru Oshii, les éditions Glénat ont choisi opportunément de présenter aux lecteurs le premier tome de l'édition perfect du manga original, The Ghost in the Shell, de Masamune Shirow, l'œuvre de base dans laquelle ont puisé les réalisateurs des films et séries d'animation qui nous ont tant régalé. En attendant le tome 2 (Man-Machine Interface) qui devrait paraître le mois prochain, intéressons-nous donc à ce texte et ces cases qui ont fasciné de si nombreux artistes et séduit ou intrigué de si nombreux lecteurs.

Masamune Shirow est un auteur assez particulier qui n'hésite jamais, dans ses œuvres, à insérer des réflexions digressives sur un élément du récit, la trame qu'il a choisie de développer, l'ambiance pour laquelle il a opté ou, surtout, sur le contexte technologique, scientifique et politique qu'il a abordé. Ses planches (davantage dans Ghost in the shell que dans Appleseed) foisonnent de petits détails graphiques ou d'interventions personnelles sous la forme de notes de bas de page (voire en marge), allant de commentaires sur ses choix scénaristiques à des propos sur l'évolution de la société, l'impact du progrès technologique et des considérations sur les croyances, la stratégie militaire ou la sociologie. Cette édition spécifique reprend d'ailleurs un avertissement de l'auteur qui encourage les lecteurs à laisser ces intermèdes de côté afin de privilégier le récit, et à y revenir une fois l'histoire achevée (chose dont j'avoue être malheureusement incapable, ce qui nuit un peu au confort de lecture en dilatant artificiellement certaines séquences - même amer constat pour ceux qui choisissent de lire les annexes du Seigneur des Anneaux à chaque renvoi). On peut également être un peu perturbé par le rythme décousu, l'alternance entre les moments graves, les séquences d'action (violente et effrénée) et ces blagues potaches décalées à l'humour typiquement nippon conférant à l'ensemble un ton kaléidoscopique propre aux publications orientales, dépassant les codes des genres établis.

Cela mis à part, Ghost in the shell s'avère être une série d'anticipation particulièrement pointue, d'une effarante modernité alors même qu'elle a été rédigée en un temps (premiers chapitres parus à l'aube des années 1990) où l'informatique en était encore à ses balbutiements. On y suit les enquêtes (souvent à la limite de la légalité) dans un futur pas très lointain des membres de la Section 9 anticriminalité qui a maille à partir avec des terroristes informatiques, des gangs mafieux mais aussi de sérieux accrochages avec les autres Sections au service de l'état. De considérables pressions politiques ou diplomatiques viennent régulièrement perturber la bonne marche de leur équipe dirigée par Aramaki, un vieux de la vieille qui en a vu bien d'autres et ne s'en laisse guère compter (il sait qu'il a l'attention des dirigeants mais refuse d'abuser de ses passe-droits). Mais le leader opérationnel est incontestablement Motoko Kusanagi, promue Major, une femme au corps cybernétique à l'apparence jeune mais doté des dernières innovations technologiques, dont le fameux camouflage thermo-optique. Elle mène son équipe d'une main de fer mais tous la respectent, à commencer par son coéquipier fidèle, Batou, grand gaillard prêt à tout pour elle. Dans cet univers cyberpunk méticuleusement développé, l'extrême curiosité de Shirow permet au récit de demeurer pertinent lorsqu'il évoque les nanomachines ou les vastes réseaux de données, cette infosphère encore conceptuelle que de grands noms de la SF ont développé ultérieurement (voir ainsi Hypérion de Dan Simmons ou l'Aube de la nuit de Peter F. Hamilton).
L'ensemble interpelle par son savoir-faire et sa densité narrative et l'on s'aperçoit avec le recul de l'extrême richesse du manga : les deux magnifiques animes de Mamoru Oshii n'ont en effet exploité que deux de ses nombreuses trames (dont celle du "Puppet Master") en en accentuant la gravité tout en ralentissant le tempo. La série Stand Alone Complex est du coup plus proche de l'esprit du manga en réinjectant également les impayables tachikomas, ces robots ultra-agiles et multi-tâches dotés d'une intelligence artificielle particulièrement développée.

Les personnages ont également un traitement parfois différent de celui visible sur les écrans : Batou est ici le comique de service, solide mais filou, Kusanagi voit sa vie privée et sa personnalité davantage dévoilées (elle a de nombreuses copines et un petit ami également membre d'une organisation gouvernementale) : le major, nettement plus érotisé (et notamment dans la vingtaine de pages colorisées), marque les esprits par son caractère très dur, ses prises de position souvent contestables et ses réparties cinglantes qui détonnent pour ceux qui sont habitués à son spleen et à sa farouche détermination dans les deux films d'Oshii. Togusa (l'ex-flic désormais incorporé à la Section 9)  ne présente en revanche que très peu de différences avec sa version animée, peut-être aussi parce qu'il est le seul de la section 9,  avec le chef Aramaki, doté d'un corps humain, quoique partiellement "boosté" - les autres étant tous des cyborgs.

Un manga incontestablement visionnaire et brillant.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un incontournable du genre cyberpunk.
  • Un univers maintes fois adapté qui a servi de source d'inspiration à de nombreux cinéastes ou créateurs de jeux vidéo.
  • Une édition très riche, plus respectueuse des interventions de l'auteur.
  • Un personnage totalement charismatique et doté d'un charme incontestable.

  • Une densité narrative qui nuit parfois à l'intelligibilité du récit.
  • Certaines cases débordent de détails et font parfois "fouillis".
  • Il faut se plier au fameux "sens de lecture respecté" mais la lisibilité est moins évidente que pour d'autres mangas.