Monstress : l'Eveil
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Avec Monstress, salué par la presse outre-Atlantique et même élu "série de l'année" par Entertainment WeeklyDelcourt fournit un album absolument splendide, un objet précieux qui fera sensation dans une bibliothèque. Cependant, malgré le soin apporté au côté graphique de l'histoire, on ne peut s'empêcher de se sentir un peu frustré par le contenu. C'est beau, parfois magnifique, mais ce récit entre Witchblade (pour la force obscure et dévastatrice que tout le monde désire contrôler) et Battle Chasers (pour l'univers heroic fantasy, la petite fille détentrice d'une puissance inconnue, le contexte martial) peine véritablement à convaincre dans ses séquences de combat, assez peu intelligibles.

Marjorie Liu, qui n'aime rien tant que raconter les tribulations de personnages mal intégrés dans leur société, souffrant de discrimination ou simplement mis à l'écart du fait de leurs origines, de leur physique particulier ou de leur orientation sexuelle, nous présente le destin hors-normes de Maika, une jeune fille au visage dur et au regard déterminé, sur le point d'être vendue à des hommes comme esclave en compagnie d'Arcaniques, des hybrides d'humains et d'animaux en conflit ouvert avec les hommes. Elle-même, pourtant humaine d'apparence - bien que manchote - est annoncée comme faisant partie de cette engeance, l'une des cinq races douées de conscience se partageant une Terre alternative. Elle finira par être emmenée par Sophia, une des dirigeantes de la caste des Cumaea, sortes de prêtresses possédant de facto un immense pouvoir politique du fait de leurs connaissances approfondies sur le Lilium, substance extraite des os des Arcaniques et dont les Humains tirent d'énormes pouvoirs (des armes surpuissantes ou des élixirs prolongeant la vie). Cependant, Maika n'est pas une esclave ou une prisonnière de guerre ordinaire : bien qu'ayant oublié une partie de ses origines, elle est venue chez les Cumaea pour se venger et trouver des réponses aux questions qui la tarabustent, mais également pour satisfaire cette faim qui la tenaille, cette faim qui la dévore car elle sait à présent qu'une terrible créature, d'une extraordinaire puissance, sommeille en elle et est sur le point de s'éveiller.


Monstress dispose de très nombreux atouts, et avant tout d'une histoire en béton dans un contexte foisonnant et séduisant. Il y a fort à parier que l'approche "manga" opérée par Sana Takeda avec ses petits Arcaniques tout mignons ainsi que ces guerriers semblant tout droit sortis d'un jeu vidéo (dotés d'armures rutilantes et d'armes démesurées) plaira à plus d'un lecteur. L'auteure en outre semble avoir fortement souligné le caractère féminin de l'entreprise (le territoire humain est régenté par cette caste de Nonnes Sorcières, l'héroïne est une jeune fille flanquée d'une petite sang-mêlé renarde, les Arcaniques rebelles sont guidés par une mystérieuse Baronne) tout en ne ménageant pas de véritables instants de cruauté (les victimes sont démembrées, torturées, dépecées pour les besoins de la recherche ou simplement afin d'être soumises à la Question). Bien des mystères entourent la quête de vengeance de Maika Demi-Loup, sur ses origines, sur son ascendance, sur le projet auquel sa mère a participé, sur l'existence même de ces monstres fantômes qui errent sur la surface de la Terre sans (jusque lors) n'avoir jamais interféré dans le monde réel. Et surtout sur ce qui s'est passé dans la ville de Constantine : quelle arme terrible a pu engendrer un tel cataclysme et ces centaines de milliers de victimes ? Et surtout : quel camp dispose d'une telle force dissuasive ? Le lecteur comprendra assez tôt le rapport entre l'enquête menée de part et d'autre de la ligne de démarcation et la quête de Maika, mais les énigmes résolues engendrent d'autres énigmes et le mystère s'épaissit.


Pour accompagner la lecture, chaque chapitre se voit agrémenté d'un agréable intermède présenté par un professeur chat chargé de nous présenter le monde connu, ses races et les liens existant entre elles. Bien que formellement intéressant et volontairement drôle, le changement de ton crée une dissonance gênant l'immersion dans le récit.
Une œuvre chat-toyante (sic), charmante et dynamique quoique souvent confuse et bavarde.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Présentation irréprochable : une belle couverture épaisse au titre imprimé en creux, des pages glacées de bonne facture.
  • Un style ambivalent entre comic moderne et manga d'heroic fantasy.
  • Un encrage magnifiant les couleurs chatoyantes.
  • Un monde cohérent, à la structure classique mais aux possibilités nombreuses.
  • Des mystères qui se révèlent très progressivement, entretenant le suspense sur les motivations et les identités.
  • Un bestiaire riche, des créatures mignonnes et des personnages inquiétants.

  • Un mélange d'humour et de drame qui peut déconcerter.
  • Un peu trop de flou au niveau des personnages principaux, qui empêche qu'on s'y investisse.
  • Une gestion des scènes de combat peu satisfaisante, les protagonistes étant mal définis et l'action peu intelligible.