Zodiac Legacy, la nouvelle création de Stan Lee
Par
Convergence est le premier tome de Zodiac Legacy, nouvelle saga de romans conjointement écrit par le légendaire Stan Lee (qu'on ne présente plus) et Stuart Moore, un auteur assez « Marvelien ». Il a été le scénariste de Wolverine Noir et de nombreux chapitres sur Iron Man, les X-Men, Namor, etc. mais aussi de Spider-Man durant Fear Itself et également éditeur d'Alias (Jessica Jones) puis auteur de la novélisation de Civil War (cf. notre chronologie Marvel). Convergence mentionne une écriture associée entre les deux artistes mais on ne sait pas où est la part de Stan Lee dedans ; s'il a imaginé l'histoire, définit les grandes lignes narratives, vaguement collaboré ou carrément participé activement à sa rédaction. Il vient tout de même de fêter ses 94 ans (le 28 décembre dernier), n'écrit plus des masses depuis quelques années et Zodiac Legacy est toujours en cours de publication aux États-Unis.

Quid du contenu ? Convergence débute à Hong-Kong, lors d'une visite scolaire dans un musée. Steven, quatorze printemps, américain d'origine asiatique en voyage pour l'occasion, se découvre (durant une scène improbable de pièce cachée et rituel de ladite convergence) de fabuleux pouvoirs, matérialisés par une énergie verte l'entourant (le chi) sous forme de Tigre et lui procurant la force de ce dernier. Une évocation évidente aux signes du zodiaque chinois. Stevens est épaulé puis guidé par Jasmine, qui partage, elle, le pouvoir du Dragon (le plus puissant de tous) avec le terrible Maxwell auquel les deux ont échappé. Cet homme souhaite maîtriser tous les pouvoirs existants, il va donc falloir retrouver ceux récemment associés à la Chèvre, au Cochon, au Lapin et au Coq. Les autres œuvrant déjà pour Maxwell, via son organisation les Vanguards. Dans ses rangs, ce puissant ennemi peut donc déjà compter sur le Cheval, le Chien, le Singe, le Bœuf et les furtifs Rat et Serpent.

Tigre & Dragon

Après une phase introductive un peu poussive, Steven embarque donc avec Jasmine (et Carlos, fidèle allié scientifique) pour un périple. Ils croisent la route de Roxanne en France, une chanteuse adolescente plutôt antipathique. Clairement le moins bon passage du livre : dans une ville non-définie de l'Hexagone, Roxanne est la leader du groupe de musique Les Poules (sic) et son pouvoir, un cri, est lié au signe du... Coq (re-sic). Sa mère est par ailleurs on ne peut plus cliché et s'émancipe bien soudainement de sa fille (comme la plupart des parents des plus jeunes héros). La petite troupe fait ensuite escale en Irlande et rencontre Liam (forcément), alias la Chèvre, qui a l'air invincible, mais aussi Josie, du signe du Cheval, qui travaille pour Maxwell. C'est une des bonnes idées du récit : l'alternance de point de vue. Si le début se focalise (trop) sur Steven et, de façon plus éparse, sur les personnages secondaires le temps de quelques paragraphes, pour Josie l'on est carrément à sa place. Idem pour la suite avec d'autres protagonistes. C'est d'ailleurs à ce moment du récit (après un bon tiers) que l'ensemble devient nettement plus passionnant. Le groupe se divise en deux équipes, l'une à la recherche de Duane (le geek de service et « Cochon » également — toutes ces appellations tendent à faire sourire par rapport à notre culture occidentale [1]) et l'autre de Kim, le Lapin, pouvant se téléporter. Les Vanguards contre les Zodiac vont ensuite pouvoir s'affronter, entre des phases d'entraînement interrompues et quelques passages s'arrêtant sur les motivations de chacun des deux camps.


Divisé en quatre parties (Convergence, Les Recrues, L'Assaut, La Porte du Dragon) étalées sur quarante chapitres puis deux épilogues, ce premier tome fonctionne assez bien. L'écriture a beau être simpliste et l'ensemble avoir un petit air de déjà-vu, piochant à droite à gauche dans des classiques indémodables (des comics X-Men aux mangas Hunter X Hunter par exemple), avec un parcours initiatique du héros rappelant les mythes ancestraux et modernes [2], ces débuts de Zodiac Legacy sont plutôt réussis. Malgré tout, ils forment davantage une immense « introduction » qu'une réelle plongée dans un monde nouveau. Il faut attendre la fin du livre pour bénéficier de quelques surprises pas forcément prévisibles, ce qui est toujours gage de qualité. En revanche, si le côté trop manichéen s'estompe doucement, il y a encore trop de mystères lancés rapidement pour donner envie de lire la suite (où chaque protagoniste doit absolument être enrichi pour parfaire le tout). Un procédé certes habile et efficace, mais un tantinet facile voire « conceptuel » (un des retournements de situation apparaît par exemple à la fin du premier épilogue, tel un cliffhanger d'une série télé dont on attend le prochain épisode avec impatience). Le roman est destiné aux enfants et adolescents mais l'adulte peut aisément prendre part au voyage. Voyage qui passe également par une géographie notable : Chine, France, Groenland, Australie, Irlande... mais sans réelle immersion, faute d'une description de lieux ou d'ambiance assez pauvre.

« Personne n'est un super héros. Dans le monde réel, les gens commettent des erreurs, et puis ils vont de l'avant. »

Clairement ciblé pour un jeune lectorat (identification au héros, phrases simples et courtes — mais efficaces), le roman est même imagé par Andie Tong (Tron: Betrayal, Spectacular Spider-Man, The Batman Strikes !). Il n'y en avait pas forcément besoin pour avoir une vision du texte en tête (d'autant plus que ses illustrations sont assez inégales mais ce n'est pas très important dans ce cas précis puisque nous lisons avant tout un roman), mais c'est assez plaisant et à prendre comme un bonus dans une édition particulièrement soignée. C'est d'ailleurs un atout de ce livre, publié chez Pika Roman (un label qui inaugure, comme son nom l'indique, des romans au lieu des traditionnels mangas cher à l'éditeur) en octobre 2016. L'épais ouvrage de près de 500 pages [3], dont 450 consacrées au récit principal (les autres à des bonus : début du tome deux accompagné de ses croquis préparatoires et brève présentation des auteurs) est clairement un bel objet. Chaque numéro de page est coloré en rouge bordeaux ; cela paraît anodin mais quand tout le livre joue sur des teintes uniquement écarlates, à commencer par la couverture, les ouvertures de chapitres, quelques symboles éparses entre les paragraphes (pour signifier des changements de lieux ou de personnes), des effets d'encre coulée et les dessins monochrome de Tong, cela donne in fine un qualitatif esthétique assez rare pour un roman (qui coûte 14,90€). Les teintes rougeâtres apposés sur les illustrations forment une suite d'images assez classiques mais qui permettent à Convergence d'avoir sa propre identité.

Les Chevaliers du Zodiaque

On imagine déjà très bien l'adaptation en dessin animé, voire en série télévisée ou carrément portée sur grand écran, ce serait l'aboutissement logique (pré-établi dès le début ?) d'une œuvre de ce genre. Étrangement, les références à la culture populaire, ou plutôt celle des comics, sont absentes du récit. Le jeune Stevens Lee (Stan Lee, Stevens Lee...) est bien fan de « La Mangouste d'Acier » mais ne fait jamais référence à « Spider-Man » ou d'autres super-héros (si possible issus de l'univers Marvel). Ce n'est pas un problème en soi puisque les auteurs font le choix de créer une « nouvelle culture de l'imaginaire » au sein du roman. Seulement, lorsqu'est évoquée (étrangement) la série Downton Abbey [4] — qui ne devrait pourtant pas trop parler aux plus jeunes — on se demande pourquoi ne pas avoir conçu uniquement des nouveaux noms d'œuvres évoquées par les protagonistes (ou n'en citer que des réelles), plutôt que de jongler entre les deux de cette façon. C'est un peu bizarre mais pas gênant pour autant, c'est davantage une curiosité anecdotique qu'un réel défaut.

S'il n'y avait pas le label Disney (éditeur originel), et le nom de Stan Lee, Convergence serait-il passé inaperçu ? Difficile à dire... Ce premier tome de Zodiac Legacy n'est pas de la grande littérature, sur l'écriture tout du moins, c'est davantage une curiosité sympathique [5] dont Stan Lee définit bien dans ses remerciements d'avant-propos l'élégance la plus simpliste et efficace de notre ère :  « À tous ceux qui aiment rêver et partir à l'aventure dans des récits qui excitent et stimulent leur imagination. Plus j'y pense, plus je me dis que nous sommes tous comme ça. » Sur le fond, les personnages sont relativement attachants, côté héros comme ennemis, l'ouvrage bénéficie d'un bon rythme et a le mérite de concevoir un nouvel univers plutôt original et bien pensé. On aurait aimé un approfondissement de certains protagonistes, de l'historique des pouvoirs zodiacaux, du passif et des connexions entre plusieurs êtres et, surtout, des réelles intentions de Maxwell (qui est souvent décrit comme n'étant pas un homme si terrible que cela)… Tous ces doutes poussent à vouloir connaître la suite, qui sous-entend justement pas mal de réponses bienvenues. La légèreté de l'ensemble (sur tous les plans, dont l'humour également) et ce monde inédit prime sur les points faibles (assez présents tout de même) de Convergence. Toutefois, il est clair qu'un enfant ou un pré-adolescent y trouvera son bonheur !

Le deuxième tome, Le Retour du Dragon, dont le début est proposé à la fin du livre sortira cette année. Outre-Atlantique c'est le troisième (The Balance of Power) qui sera en vente dès mars prochain.


[1] Ce qui donne parfois des extraits franchement amusants :  « Steven avisa Roxanne, libérée, qui s'avançait vers le Boeuf. [...] Le Cheval et le Singe aidaient le Chien à se relever. »
[2] Joseph Campbell en parle avec grande précision dans Le Héros aux mille et un visage (cf. cet article pour plus de détails), devenu un classique de la littérature, publié pour la première fois en 1949 et bénéficiant de mises à jour à chaque réédition. L'auteur, spécialiste des mythes, théorise l'archétype du Voyage du Héros : en étudiant les mythologies il y trouve un schéma narratif quasi-identique (jeune héros se découvrant un destin, Bien contre Mal, appel de l'aventure, guides, alliés atypiques...). On trouve désormais cette façon de faire dans beaucoup d’œuvres populaires (Star Wars, Le Hobbit, Harry Potter, Matrix...) et dans la plupart des shônen mangas (One Piece, Naruto, Dragon Ball, Hunter X Hunter...).
[3] Si le nombre de pages peut rebuter certains lecteurs, soyez rassurés : la taille de la police d'écriture est relativement grande, l'ensemble se lit assez rapidement. Par ailleurs, sur 450 pages allouées au roman, on en compte 70 d'illustrations. Le récit pur et dur s'étale donc sur « seulement » 380 pages.
[4] Une excellente série britannique que nous évoquions justement il y a quelques semaines sur le site. La chronique — rédigée par le même auteur que celle-ci — qui présente Downton Abbey et dresse en même temps (et sans révélations majeures) le bilan de ses six saisons est à lire ici.
[5] À l'instar du manga Ultimo, également co-créé par Stan Lee il y a quelques années. La chronique de cette bande dessinée japonaise est à découvrir dans les archives d'UMAC.

Crédits images : © 2016 Disney


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers original.
  • Un "beau" livre.
  • Une histoire sympathique, étrange mélange de X-Men et Hunter X Hunter.
  • Une lecture (très) facile et fluide, destinés avant tout aux plus jeunes.
  • Des points de vue assez variés.
  • (Une ouverture sur beaucoup de possibilités intéressantes.)
  • Des illustrations bienvenues...

  • ... mais assez inégales. 
  • Un premier tiers bancal avec des protagonistes survolés.
  • Des dialogues parfois improbables.
  • Des facilités scénaristiques qui débouchent sur des incohérences ou des éléments guère crédibles.
  • Quelques situations et personnages très cliché.