Chroniques des Classiques : Ubik
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Retour du grand Philip K. Dick dans les chroniques des classiques avec un roman SF dense et déroutant : Ubik.

Publié en 1969, Ubik, bien que moins accessible que Le Maître du Haut Château, partage avec ce dernier la thématique toujours riche des mondes parallèles et de la perception de la réalité.
L'action se situe dans un futur (le futur de Dick à l'époque, qui nous apparait aujourd'hui comme le passé, évidemment) où la société est dominée par de gigantesques entreprises qui offrent - ou plutôt louent - des services psioniques.
Deux grands groupes s'affrontent depuis fort longtemps : l'un mené par Ray Hollis, qui comporte des télépathes et autres précogs, l'autre dirigé par Glen Runciter, qui emploie des anti-psi dont le rôle est de "nullifier" les pouvoirs du premier.
Tout commence alors qu'un groupe d'anti-psi de Runciter tombe dans un piège sur la Lune, entraînant la mort de Runciter lui-même. Joe Chip, testeur de talent, toujours fauché, va tenter de sauver ce qui reste de son patron. Car dans ce monde, l'on peut être maintenu en semi-vie...

Ce qui frappe en premier lieu à la lecture de ce roman est bien l'incroyable mélange de genres qu'il présente. Le récit évolue sans cesse, allant de la SF technologique pure à la réflexion métaphysique en passant par les paradoxes temporels.
Bien vite classé par certains comme critique anti-capitaliste [1], Ubik se révèle en fait bien plus ambitieux, même si effectivement l'ironie concernant l'argent ne manque pas. Ainsi, dans le monde originel de Runciter et Chip, tout est payant. Rien de nouveau me direz-vous, tout est payant dans le nôtre également (même ce qui est présenté comme "gratuit" est forcément payé par quelqu'un), la différence se situe ici dans l'immédiateté du paiement, qui crée le décalage. Les personnages ne paient pas une facture d'eau tous les mois mais doivent avoir de la monnaie sur eux à chaque fois qu'ils prennent un bain. Même chose pour la cafetière, tous les objets, automatisés et souvent parlant, fonctionnant à coups de piécette. Le concept est poussé si loin que même les portes, pour être ouvertes, doivent être payées.

Mais en rester à la simple critique économique serait passer à côté de l'essentiel. Dick parvient à dérouter le lecteur en multipliant les réalités et les retournements de situation. L'on en vient à douter de qui est réellement vivant ou mort, sans parler de cet univers si étrange dans lequel sont plongés les semi-vivants.
L'auteur fait également preuve d'habileté en décrivant certains phénomènes psioniques avec une grande précision et des métaphores appropriées (les différents futurs possibles vus par les précogs comme les multiples alvéoles construites par les abeilles). Cependant, le foisonnement de thèmes et de pistes constitue aussi le point faible de l'histoire. Bien des éléments sont très vite survolés (l'incroyable pouvoir de Pat Conley par exemple), les personnages sont finalement peu développés, au profit de l'action (ou de la fuite en avant), et certains passages peuvent sembler quelque peu obscurs. À vouloir tout caser (fusées, pouvoirs télépathiques, lignes temporelles changeantes, domaine de l'après-vie...), Dick charge un peu la mule, surtout pour un si court roman.

L'ambiance particulière, onirique, folle, dramatique, absurde parfois, est pour beaucoup dans le résultat final et l'impression de déliquescence et d'urgence qui domine. C'est ce ressenti, mélange de malaise et d'étrangeté, qui donne à Ubik cette saveur unique, toujours piquante près de cinquante années après son écriture.
Pas sans défauts, sans doute moins bien construit que Le Maître du Haut Château, Ubik apporte toutefois une réelle réflexion sur la nature de la réalité, doublée d'un humour mordant qui s'offre le luxe d'être encore d'actualité.

À découvrir.

Plongez dans la baignoire pour voir d'où vient le vent.
Vous êtes tous morts, je suis vivant.



[1] Sans doute par les mêmes qui voient dans tous les films de zombies une critique de la société de consommation. À force de suranalyser, l'on peut découvrir dans toute œuvre des sens que l'auteur lui-même ne souhaitait pas forcément y mettre. Que cet aspect soit présent, certes, qu'il soit le centre d'Ubik, certainement pas.

Autres classiques chroniqués : Des Fleurs pour Algernon / 1984 / Sa Majesté des Mouches / Le Maître du Haut Château.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Style enlevé.
  • Richesse de la thématique.
  • Humour caustique.
  • Réflexion métaphysique.
  • Une certaine forme de poésie surréaliste.

  • Des personnages à la personnalité succincte.
  • Une certaine confusion due à un large mélange d'éléments disparates.