Sunstone : lesbien nécessaire ?
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Je vais vous avouer un truc. Si UMAC avait été le petit blog ambitieux d'un jeune internaute désireux de se faire un nom sur la Toile, je n'aurais sans doute pas hésité à placer dans le titre des termes ouvertement racoleurs (BDSM, fétichisme, latex, cuir, domination, et j'en passe...). Ok, je vous l'accorde, il y a le mot "lesbien", qui devrait attirer une frange non négligeable de petits pervers désireux de s'émoustiller devant leur écran en se rassurant parce qu'ils lisent un article tiré d'un site sérieux-et-instructif. Oui, car UMAC c'est d'abord ça, et bien plus encore. Tout comme Sunstone d'ailleurs, qui est bien davantage que l'histoire de deux jeunes femmes s'adonnant à des pratiques sexuelles non conventionnelles...

L'amour du comic book mène donc à tout. Et vous expliquer comment j'en suis arrivé à lire Sunstone ne servirait à rien, sinon à tenter vainement de se justifier pour un choix qui n'a, finalement, rien de choquant.
Toujours est-il que pour un habitué des bandes dessinées bourrées de super-héros ou résolument orientées "fantastique" voire carrément SF, la lecture de cet ouvrage a été plutôt... déstabilisante. A quoi m'attendais-je ? Je ne sais pas, sans doute à quelque chose apparenté aux récits de vampires ? Il est vrai que la première de couverture (tant de l'édition française chez Panini, datant de l'été 2015 dans la collection "Best of Fusion", que de l'édition originale Top Cow parue chez Image Comics en décembre 2014) avec sa palette de rouges et ces filles sexy au regard envoûtant, peut légitimement faire penser à des productions de ce genre - dois-je vous rappeler qu'UMAC en a proposé une fort intéressante sélection récemment ? J'ai notamment en tête la couv' de Rapaces de Dufaux & Marini.
Quand j'ai fini par me rendre compte que ce récit d'initiation n'ouvrait pas les portes d'un monde fantasmagorique, ou celles d'un conte horrifique, mais qu'on suivait pas à pas les atermoiements d'une jeune romancière découvrant l'amour par le biais de jeux sexuels (comment ? Ah non, pas de nuances de gris dans cet ouvrage, bien au contraire !), j'avoue avoir eu pendant quelques instants la tentation de le refermer et de le mettre en vente sur ma plateforme préférée avec la mention "Comme neuf - Acheté par erreur"... et sans hypocrisie aucune.


Pourtant, pourtant, j'ai décidé de poursuivre ma lecture. Vu que ce n'est pas à proprement parler ma tasse de thé (pas de conflits cosmiques, pas de pouvoirs dévastateurs, pas de crise de conscience - ou de foi, pas de batailles débridées, pas de violence graphique), il fallait bien que j'y trouve de quoi me sustenter. Tout d'abord, les dessins sont immédiatement séduisants : Stjepan Sejic, le concepteur de l'œuvre - qui a d'abord pris naissance sur son site internet tandis qu'il attendait que ses interventions dans Witchblade lui apportent davantage de notoriété - sait parfaitement accaparer le regard par des détails accrocheurs, des silhouettes fluides et surtout un travail constant sur les mimiques de ses personnages. Tout en demeurant constamment à la frontière entre réalisme et esprit comic (à la manière d'un Jerome Opeña par exemple), il accentue encore davantage l'expressivité de ses visages en donnant plus d'importance aux lèvres qui prennent des angles et des proportions héritées sans doute du manga.
Du coup, nos deux héroïnes deviennent instantanément séduisantes : elles n'ont pas ces poses ravageuses et ces mensurations irréelles qui peuplent les comics habituels, mais dégagent un charme indicible, une fraîcheur à la fois tentatrice et rassurante. Raconté à la première personne, le récit est certes bavard mais construit sur de petites phrases pleines d'à-propos, des réactions ex abrupto bourrées de cette légère impertinence qu'on trouve dans les blogs féminins, des remarques et des allusions qui prolongent l'effet d'une planche ou en détournent la première intention. D'ailleurs, c'est tour à tour drôle et attachant.


Lisa, jeune auteure, est bien en peine de raconter ce qui lui arrive : après quelques années de frustration dans des relations sans lendemain, elle avait fini par comprendre ce qui la motivait, ce qui pouvait enfin la faire vibrer : elle avait fini par assimiler le fait qu'elle avait besoin d'être dominée. Mais par qui ? Une personne de confiance, assurément. Car se soumettre, même dans le simple but de ressentir quelque excitation sexuelle, c'est s'engager, c'est se livrer. Trop timorée pour en parler ouvertement, elle s'en est ouverte sur des sites spécialisés (c'est nettement plus facile avec la barrière de l'écran). C'est là qu'elle a rencontré - virtuellement d'abord - Ally, femme plus mûre revenue d'une liaison avec son meilleur ami parce que tous deux étaient dominants. Très vite, les chats anodins se sont mués en discussions prolongées, virant même au sex-talk. Jusqu'à ce qu'elles décident mutuellement de franchir le pas et de se rencontrer. Toute cette phase d'excitation/hésitation précédent le moment où elles se retrouveront face à face est délicieusement retranscrite, et il en va de même pour le reste.


Certes, on les verra également en (très) petite tenue, et la belle Ally dispose à la fois de beaucoup d'imagination et de beaucoup de ressources pour satisfaire ses désirs, y inviter la jolie et craquante Lisa et découvrir mutuellement que, au-delà de l'assouvissement de besoins physiques (presque impérieux pour ces deux frustrées de la vie), une passion bien réelle et plus chaste va naître, qui les poussera l'une vers l'autre une nouvelle fois.
C'est dans cette découverte qui les surprend presque que se cache la richesse du volume, dans l'exploration insatiable de nouvelles normes sexuelles mais aussi et surtout dans ce qu'elle engendre au fond d'elle. Sans être un traité BDSM, Sunstone assène quelques vérités mal connues qui rabattront leur caquet aux plus frileux. Évidemment, la tierce partie (l'ex-compagnon d'Ally, un gamer qui est demeuré son ami le plus fidèle) est un peu trop compréhensif et ouvert d'esprit pour être crédible, mais il permet d'ancrer la relation entre les deux filles dans un quotidien réaliste.
L'ensemble, ni racoleur ni pervers, est une jolie petite histoire, superbement mise en image, touchante et coquine. Une tranche de vie doublée d'une réflexion intéressante.
A tester.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des personnages fouillés, charmants et crédibles.
  • Des situations qui évitent le piège du graveleux et privilégient l'émotion et l'humour.
  • Des dessins agréables, mettant les expressions faciales en exergue.
  • Un beau dispositif de mise en page.
  • Deux filles sensibles, intelligentes et belles.
  • L'édition Top Cow originale est complétée par une magnifique galerie de portraits issus de DeviantArt.

  • Quelques détails de finition un peu légers qui contrastent avec la qualité de l'ensemble.
  • Quoique graphiquement réussi, le comic fait la part belle aux dialogues et à l'introspection, le rendant un peu bavard.