Sur les traces de Straczynski


J.M. Straczynski est un scénariste de génie. Intelligent, habile, extrêmement régulier au niveau de la qualité de son travail, l'homme est tout simplement devenu une référence en matière de comics à la fois profonds, divertissants et subtils.
C'est à travers huit de ses œuvres que nous revenons sur la riche carrière de cet auteur incontournable, moins populaire qu'un Moore, moins sulfureux qu'un Miller, moins commercial qu'un Millar, mais indéniablement talentueux.


Amazing Spider-Man

L'un des tours de force de Straczynski a sans doute été son long run sur la mythique série du Tisseur. L'on sait à quel point il est difficile de prendre en charge le destin d'un personnage mainstream dont on ne détient pas les droits, surtout chez Marvel, éditeur spécialiste du surplace narratif et du statu quo. Pourtant, Straczynski va parvenir à faire évoluer le personnage, à apporter même les plus grands changements dans l'univers arachnéen (tout en en respectant les bases) et à signer une épopée qui restera dans les mémoires.

Dès son arrivée sur la série, Straczynski va livrer une vision personnelle et enthousiasmante des origines du Tisseur. L’originalité de la démarche réside dans le fait qu’il ne s’agit pas de relire une énième fois des évènements bien connus mais de leur donner un sens nouveau. En introduisant le personnage d’Ezekiel, la Société de l’Araignée et une destinée liée à la nature totémique des pouvoirs de Spidey, le scénariste donne une profondeur inégalée au personnage (cela donnera d’ailleurs lieu à une exploration plus poussée du concept dans la série Araña).
Profondeur, ou en tout cas changement de cap, qui ne fait pas l’unanimité mais présente le réel avantage de faire avancer le mythe.
Très rapidement, Straczynski passe à la vitesse supérieure en s’attaquant à un tabou : l’ignorance de la tante May en ce qui concerne l’identité secrète de son neveu. Mais attention, il ne s’agit pas de tout piétiner pour le plaisir. Straczynski amène la chose avec panache et finesse. Un épisode entièrement "silencieux" sera même dédié à la réaction de la tantine qui, quittant son rôle d’éternel alibi souffreteux, devient enfin moins irritante (cette partie a été rééditée en librairie dans la collection Marvel Premium, puis en Marvel Icons).
Bien entendu, il serait naïf de penser que le scénariste a pu agir sans l’aval des responsables éditoriaux. Mais il faut lui reconnaître à la fois une évidente capacité de persuasion et, surtout, un talent certain pour s’aventurer sur un terrain soi-disant miné qu’il était temps de parcourir. Et plus qu’une péripétie de plus dans la vie de Parker, Straczynski met alors fin à l’un des ressorts classiques – mais usé jusqu’à la corde – de la série. Une page se tourne. De nouvelles intrigues, en rapport avec ce changement d’état, peuvent être envisagées.

Les super-vilains eux aussi sous le choc après le 11 septembre.
Dans un registre beaucoup plus dramatique, c’est également Straczynski qui rédigera le texte, poignant, de l’historique Amazing Spider-Man (v. II) #36 (la série ne reprenant sa numérotation originale qu’à partir du numéro #500) dédié aux victimes des attentats du 11 septembre et aux vrais héros qui, ce jour-là, ont tenté l’impossible pour sauver des vies. Il transposera cette épouvantable journée dans l’univers 616 avec une grande délicatesse, allant même jusqu’à mettre de côté les traditionnels camps opposés en montrant un Fatalis en larmes.
Parmi les arcs les plus controversés figure le fameux Sins Past dans lequel Straczynski ose s’attaquer à la mémoire de Gwen Stacy, intouchable figure symbolisant la pureté sacrifiée sur l’autel de la méchanceté gratuite des vilains. Ce récit révèle l’existence de deux enfants que Gwen aurait eu avec… Norman Osborn. Cette spectaculaire relecture du passé peut paraître excessive, mais là encore, elle a l’avantage de nourrir la série, de la faire évoluer, et non de la faire ronronner en ressassant les éternelles variations sur les mêmes thèmes. Mieux, elle permet de donner encore plus d'importance au geste du Bouffon Vert et à la relation si spéciale qui le lie à Parker.
La prochaine étape importante est le crossover, The Other. Straczynski n’en est pas seul maître, mais une sensible évolution du personnage ressort tout de même : Spider-Man devient plus puissant, il acquiert de nouveaux pouvoirs (peu utilisés par la suite) et se veut plus adulte que jamais. Mieux encore, Morlun et la thèse totémique de Straczynski (revenu plus récemment au centre de la saga Spider-Verse) constituent le socle de cette saga au parfum finalement dramatique autant pour le personnage que pour le scénariste qui, ici, signe l’un de ses derniers apports au Monte-en-l’air.

Spider-Man s'apprête à révéler au monde qu'il est Peter Parker.
Straczynski enchaîne ensuite avec les préludes Civil War et le tie-in réservé au Tisseur. Ces épisodes, bien que fortement influencés par la vision partiale et anti-Stark de Millar, sont une grande réussite. La tension est à son comble, visuellement c’est très bon et, cerise sur le gâteau, Peter Parker va révéler au public qu’il est Spider-Man. Et personne n’était mieux placé que Straczynski pour prendre en main une telle révélation. Lui qui avait déjà apporté tant d’évolution et d’audace à la vie ronflante de la petite araignée, il était naturel que lui revienne l’honneur d’ôter son masque à un Parker s’assumant enfin au grand jour.
Tout cela débouche sur Back in Black, avec un Parker sombre, torturé, qui est maintenant un fugitif, puis la décision insensée de Quesada de revenir aux "fondamentaux" de Spider-Man. L’arc One More Day est pathétique. Mary Jane est sacrifiée, ainsi que des années d’évolution, dans le but d’attirer d’éventuels nouveaux lecteurs (cf. cet article).
Le ménage est fait en profondeur. Sont annulés : les nouveaux pouvoirs de Spidey, la révélation de son identité secrète, son mariage et, dans le lot, des tonnes de récits qui exploitaient les relations particulières de Spider-Man avec un personnage qui connaissait son identité réelle. Et nos souvenirs, bien sûr.
Straczynski semble menacer un temps de retirer son nom des crédits avant de rentrer dans le rang, probablement la mort dans l’âme.

Il quitte la série avec un bilan ahurissant : il est à la fois l’auteur qui a le plus fait évoluer Spider-Man et celui qui signe, contraint et forcé, son retour aux bases de… 1962. Les efforts de presque sept années passées sur le titre sont réduits à néant par les décisions absurdes de Marvel. Le Spidey adulte, responsable, profond, redevient un adolescent attardé et égoïste, totalement enfermé dans une relation aussi malsaine qu’apparemment insoluble. Ce Spider-Man mythique, sublimé par la plume de Straczynski, restera cependant dans l'histoire à défaut de demeurer dans la continuité.




Midnight Nation

Un meurtre sordide de plus dans les rues de Los Angeles. Un règlement de compte dont tout le monde se fiche sauf David Grey, un bon flic qui consacre l'essentiel de sa vie à son métier. Mais lors d'une arrestation, tout tourne mal. Lorsque l'inspecteur se réveille à l'hôpital, tout a changé pour lui. Il est maintenant entre deux mondes.
Les Marcheurs lui ont volé son âme. Pour la récupérer, il a un an pour se rendre de Los Angeles à New York. Dans sa quête, il sera aidé par la belle et mystérieuse Laurel. C'est elle qui lui fournira les premières clés pour comprendre son état. Elle aussi qui devra le tuer s'il échoue...

Midnight Nation est une œuvre atypique qui se démarque totalement du super-héroïsme ou même du polar traditionnel. Pour ces douze épisodes, publiés au début des années 2000 et édités en France chez Semic, tout n'était pourtant pas gagné d'avance. Un thème fantastique avec des élans métaphysiques ou religieux un brin moralisateurs, voilà qui pouvait sembler quelque peu rébarbatif. Pourtant, passé un premier cliché, tout se déroule parfaitement. Et encore, pour ce qui est des clichés, l'on a affaire à un méchant flic, blanc donc forcément raciste, que Grey déteste. Sauf qu'il pousse la détestation de la logique de son collègue (celui-ci accordant plus de poids au meurtre d'une fillette innocente qu'à celui d'un dealer) jusqu'à souhaiter... sa mort. Presque une façon du coup de montrer du doigt les excès et égarements de gens se réclamant d'une morale absolue dont ils ne tiennent pas compte pour rendre leurs propres jugements.

Mais il ne s'agit là que d'un détail et c'est à un véritable voyage intérieur que nous convie ensuite l'auteur. Car nous ne pouvons que nous questionner avec le personnage principal. La métaphore, presque trop évidente, des gens qui s'effacent peu à peu à notre vue a surtout été comprise jusqu'ici comme une condamnation des travers de nos sociétés, ce qu'elle est certainement. Elle peut toutefois également être perçue plus largement comme une évocation de l'illusion du Moi et de l'individualisme qui en découle, thème présent dans la philosophie asiatique par exemple.
Mais là où Straczynski peut se vanter de faire vraiment mal, c'est que loin de nous servir une opinion personnelle avec de gros sabots, il se fait l'avocat du diable et parvient presque à nous convaincre que tout espoir est vain, que la douleur fait toujours partie de l'équation et que seul le renoncement paraît sensé.

Heureusement, le final, bien que très loin d'une happy end classique, permet à Grey de trouver une sorte de rédemption. A travers lui, le scénariste bouscule un peu nos petites lâchetés quotidiennes. Nos résignations trop faciles, nos hésitations, nos peurs de l'inconnu ou de l'échec sont superbement mises en scène pour nous confronter finalement à l'absurde vérité : nous sommes responsables d'une grande part de ce qui nous arrive. Et le courage, l'abnégation ou le pardon sont quelques moyens, fragiles mais précieux, pour arriver à reprendre le contrôle de nos vies. Eh bien c'est un message qui n'est finalement pas si courant que cela. Surtout qu'il est délivré sans réels "méchants" et avec une poésie émouvante.
Straczynski se permet ici une réflexion amère et délicate, qui ne force pas la main au lecteur et le laisse l'esprit en feu et le cœur reconnaissant. Et une fois la dernière page tournée, l'on ne peut s'empêcher de s'interroger sur ce que nous aurions fait à la place de ce flic. Et aussi un peu sur ce que nous continuons, chaque jour, à ne pas faire...

Une superbe histoire, touchant à la fois au pire de la condition humaine et aux efforts admirables que l'homme parvient parfois à concéder pour la dépasser.




Rising Stars

1969. Une météorite tombe non loin de Pederson, petite ville de l'Illinois. Une énergie inconnue se dégage alors, affectant 113 fœtus. Une fois nés, les enfants développent différents pouvoirs. Certains volent ou sont invulnérables, d'autres peuvent marcher dans les rêves, parler aux morts ou maîtriser le feu.
Le gouvernement tente alors de les regrouper afin de les étudier et, surtout, de les contrôler. Les autorités ne peuvent pourtant indéfiniment les retenir contre leur gré et, peu à peu, tous vont partir mener leur vie comme bon leur semble. Certains rentrent dans les forces de l'ordre, d'autres sont plutôt considérés comme des criminels, mais la plupart ont une vie paisible, un emploi, des enfants...
Jusqu'au jour où quelqu'un se met en tête de les éliminer, en commençant par les plus faibles. Pour John Simon, alias le Poète, il est évident que le meurtrier est l'un des leurs. Reste à connaître ses motivations.

Avec Rising Stars, J.M. Straczynski nous livre cette fois une œuvre ambitieuse et résolument optimiste. De par l'ampleur du propos, l'intrigue et son déroulement mais aussi certains détails, comme l'enquête sur le tueur ou le carnet du Poète, l'on peut voir certaines similitudes avec Watchmen. La scène du cimetière, sous la pluie, peut également être perçue comme un clin d'œil à cette œuvre, jusque dans certains choix au niveau des angles de vue. Bien entendu la comparaison s'arrête là et l'auteur développe ses propres thèmes.
Il faut noter l'extrême sensibilité avec laquelle sont décrit les Spéciaux. Certains prennent une réelle épaisseur et s'avèrent touchants après seulement quelques planches, voire quelques cases. Les relations entre ces gamins à la destinée exceptionnelle mais aussi le rejet dont ils font l'objet permettent de traiter des "pouvoirs" sous un angle réaliste tout en introduisant des questionnements qui s'étendent bien au-delà du super-héroïsme classique. Qu'est-ce qui fait de vous un être à part ? Comment utiliser un don au mieux ? Comment concilier le fait de vouloir se prémunir de gens aux capacités exceptionnelles et le respect des droits fondamentaux ?
D'une certaine façon, Straczynski pose ici, entre autres, la problématique qui sera, des années plus tard, au centre de Civil War.

Le récit peut se diviser en trois époques bien distinctes : l'enquête du Poète, qui permet de revenir sur l'enfance des Spéciaux, l'affrontement dû à une conspiration que l'on ne dévoilera pas en détail, et, enfin, un troisième acte quelque peu naïf bien qu'émouvant.
Il est amusant de constater que Straczynski va donner ici une réponse valable à une question qui revient souvent lorsque l'on parle de super-héros : pourquoi le monde ne devient-il pas meilleur dans des univers où tant de gens ont des capacités extraordinaires ? La réflexion de Jason Miller (Patriot, anciennement Flagg) est à ce titre révélatrice du sentiment d'impuissance qui peut résulter de la terrible constatation que force, vitesse ou magie ne peuvent résoudre instantanément des problèmes humains complexes.

Nous sommes donc loin du justicier sans peur et sans reproche ou des menaces basiques expédiées à coups de baffe. Là encore, Straczynski, plutôt que de nous assener son opinion sur un sujet particulier, va subtilement émettre l'idée que le pouvoir ne résout rien sans volonté de changer les choses, sans prise de conscience, sans ce qui fait le héros : l'abnégation et le don de soi.
Et c'est un pur bonheur, pour le lecteur habitué aux leçons de morale visant des cibles faciles désignées à la vindicte populaire, de voir un auteur évoquer un humanisme pragmatique débarrassé de ces vieilles rancœurs politiciennes et du radotage pavlovien propre aux illuminés qui ne réfléchissent que dans l'absolu, sans jamais tenir compte de la possible application concrète de leurs "idées" issues d'un prêt-à-penser absurde mais toujours prompt à fédérer les amateurs de bonne conscience bradée rapidement.

Un titre qui démontre, pour ceux qui en douteraient encore, que les comics de super-héros peuvent être tellement plus que de simples bastons en pyjama.




Superman : Terre-Un

Supes par Straczynski, voilà une association prometteuse concrétisée dans Superman : Terre-Un. Passé de Marvel à DC, l'auteur s'est penché sur Superman et plus précisément le moment crucial où le jeune homme qu'est encore Kent bascule vers le statut de super-héros mythique. Pas forcément le choix le plus facile donc.
En effet, Superman n'est pas le meilleur "client" possible pour un auteur. Trop puissant, trop iconique, parfois raillé pour son côté naïf et gentillet, le personnage est à manier avec précaution, toujours à la limite d'une caricature de lui-même. Mais les plumes les plus habiles aiment ce genre de défi, relevé d'ailleurs ici avec beaucoup de maîtrise et de panache.

Clark Kent vient de terminer ses études. Fraîchement arrivé à Metropolis, toutes les carrières lui sont possibles. Il pourrait devenir footballeur professionnel, chercheur dans les entreprises les plus renommées... car ses capacités sont exceptionnelles, et ce dans tous les domaines. Pourtant, tournant le dos à l'argent facile, Clark va suivre une autre voie et se lancer dans la presse écrite.
Parallèlement, une menace de niveau planétaire l'oblige à se dévoiler aux yeux de tous en tant que Superman. Le monde s'interroge alors : qui est ce surhomme ? D'où vient-il ? Est-il dangereux ? Et si oui, peut-on seulement le... tuer ?
Superman aussi va devoir faire des choix et répondre à de douloureuses questions. Sa puissance extraordinaire ne le met pas à l'abri des doutes. Peut-il intervenir dans tous les pays ? Se mêler de politique ?
Peut-il changer le cours des choses ?
Peut-il seulement sauver un junkie de la mort certaine vers laquelle il dérive, seul et dans l'indifférence générale ?
Si la puissance brute peut résoudre bien des choses, Clark Kent va apprendre qu'elle a aussi ses limites...

Straczynski parvient dans un premier temps à expliquer les origines du personnage (au cas où un improbable lecteur les ignorerait) avec légèreté et astuce. L'essentiel est disséminé au cours de l'intrigue, sans donner l'impression d'un passage obligé. Mieux, le scénariste parvient même à justifier les couleurs criardes du costume et l'absence de masque malgré l'identité "secrète". Rien que cet aspect en dit long sur le côté minutieux de l'auteur.
L'entrée en matière est déjà sympathique, mais la suite s'avère proprement fantastique, surtout pour ceux qui n'apprécient pas spécialement mister slip-par-dessus-le-pantalon (il est représenté encore, ici, dans son ancienne tenue). Non seulement Kent s'avère très humain, touchant même, mais il n'apparait pas comme invincible ou intouchable. Au contraire, il doute, recule, se rend compte qu'il existe des drames qu'il ne pourra jamais empêcher, quelle que soit sa bonne volonté. Un thème, sur la douloureuse condition humaine, que l'on retrouve régulièrement dans les récits de Straczynski.

Plus qu'une énième relecture insipide, le scénariste livre un conte subtil et profond sur les choix, le sens que chaque être peut donner à sa vie, ou encore, plus surprenant, la solitude. Solitude de l'enfant différent des autres, solitude du génie, du puissant, du junkie enfermé dans sa chute, de la fille pourtant sexy mais cachant un honteux secret... l'aspect super-héroïque est ici presque anecdotique tant l'on touche à l'essentiel : l'humain, l'homme derrière le masque (car même Superman en a bien un finalement).
Petit exemple du talent exceptionnel de l'auteur, en deux planches (putain, deux planches...) il parvient à vous émouvoir avec une belle et triste histoire concernant un chat. Pourtant, on sent le coup venir, mais c'est parfaitement amené, donc imparable. Presque un objet d'étude pour tout auteur en herbe.

Du Superman moderne et accessible, sublimé par un Straczynski au sommet de son art




Sidekick

Un sidekick est une sorte d'acolyte servant souvent de faire-valoir. En se mettant dans de fâcheuses situations, il permet au héros principal de briller. L'un des exemples les plus célèbres est sans doute Robin, sidekick de Batman.
C'est ce rôle particulier que J.M. Straczynski a choisi d'explorer - et triturer - dans cette mini-série de 12 épisodes.

Tout commence lorsque Red Cowl, protecteur de Sol City, se fait descendre par un sniper lors d'une parade. Flyboy, son sidekick, se retrouve seul et démuni. Il va devoir faire face à la perte d'un ami mais aussi à une lente descente aux enfers résultant de coups du sort et, surtout, de mauvaises décisions.
La force principale de ce récit tient dans la complexité et la finesse de la psychologie du protagoniste principal. Ce dernier va lentement passer par tous les états possibles, révélant ses faiblesses, cédant parfois à la facilité, sombrant dans la dépression et finissant par se mettre à dos population et autorités.

Sidekick s'inscrit dans la lignée des comics "sombres", où les super-héros, désenchantés, apparaissent avec leurs failles et leurs doutes. Pourtant, il se détache tout de même des productions de ces dernières années. Moins brutal qu'un Irrécupérable, moins cynique qu'un The Boys, plus abouti qu'un The Cape, Sidekick parvient à montrer l'évolution, réaliste, d'un jeune homme confronté au poids du destin, de la société et de ses choix.
C'est avec une grande subtilité que Straczynski décrit non seulement les affres du héros mais aussi certains de ses adversaires. S'il expose parfois leur manque de moralité, il tient également compte des circonstances ayant fait d'eux ce qu'ils sont. Et, bien que ce soit parfois difficile à admettre, il est vrai qu'aucun individu ne peut être réduit à son côté le plus sombre. Le savoir est une chose, parvenir à le démontrer tout en douceur (ce que fait ici l'auteur) en est une autre, qui force l'admiration.

Outre cet aspect dramatique réussi, Straczynski s'amuse également à confronter le mythe super-héroïque avec des habitudes économiques ou médiatiques modernes. Flyboy se retrouve ainsi à tenter l'expérience du "financement participatif" (ou crowdfunding) pour continuer ses activités. Et la télévision et ses hordes d'ahuris ignorants commentant des faits qu'ils ne comprennent pas est également épinglée de manière assez juste.
Tous ces petits éléments renforcent encore la vraisemblance de l'ensemble et apportent parfois un peu de légèreté.

Une excellente histoire, très bien écrite, qui donne l'impression de découvrir un nouvel aspect du genre super-héroïque, pourtant saturé par une production massive. À lire absolument.




Supreme Power

Dans cette réactualisation de l'Escadron Suprême, Straczynski conte l'histoire de quelques individus (ayant acquis des pouvoirs) sur une terre parallèle (il ne s'agit pas de la Terre 616 de l'univers Marvel classique, autrement dit, il n'y a pas Spider-Man, les FF, les X-Men...).
L'armée tente de contrôler les métahumains pour en faire des armes secrètes, ce qui permet à l'auteur de nous livrer une intéressante réflexion sur le pouvoir et la manipulation.

Notons que ces individus bardés de pouvoirs sont en fait la copie quasi conforme de la Justice League concurrente, de chez DC Comics : Hyperion est l'équivalent de Superman, Nighthawk celui de Batman, Princess Power est le clone de Wonder Woman, Dr Spectrum remplace Green Lantern et l'on retrouve également les versions Marvel d'Aquaman ou Flash.

Les personnages, comme souvent avec Straczynski, sont étoffés et dotés d'une psychologie fouillée. Passé trouble, cynisme, quête personnelle, corruption, autant d'éléments qui permettent de faire de Supreme Power (dont la suite a été renommée Squadron Supreme) une série addictive. En outre, l'auteur inclut dans son intrigue des aspects scientifiques (mécanique quantique, fission nucléaire...) et historiques (l'histoire voit se succéder les administrations de plusieurs présidents américains) qui donnent une épaisseur certaine à l'ensemble.

L'intrigue est menée tambour battant, dans une ambiance sombre qui convient tout à fait au propos. Les super-héros n'affrontent pas seulement des menaces surhumaines mais doivent composer avec la société, le gouvernement ou les médias.
Cet aspect réaliste et politique en fait une série passionnante, loin des clichés et du manichéisme habituel dans ce domaine (même si l'évolution du genre super-héroïque, depuis une quinzaine d'années, tant à généraliser ce côté "dark" et prosaïque).
Comme souvent chez Straczynski, les encapés ne sont qu'un prétexte pour aborder des thèmes universels et bien plus profonds qu'un simple affrontement de mecs musclés portant du spandex. Ainsi, le destin tragique d'Hyperion, passant de simple gamin découvrant sa différence à un adulte tout d'abord manipulé puis désabusé et courroucé, est particulièrement représentatif du traitement particulier qui fait des héros de Straczynski des êtres de Papier pas si différents de l'humain lambda.




The Twelve

Dans The Twelve, le mélange entre Masques et Histoire donne de nouveau un résultant bluffant.

Berlin. 25 avril 1945. Ils sont douze. Douze Masques participant à l'assaut final contre l'Allemagne nazie, à l'agonie. Ils ne forment pas vraiment une équipe, certains se connaissent, sans plus. Mais ils ont un point commun. Tous vont tomber aux mains des SS qui voient, dans ces surhommes, le moyen de réaliser le dernier rêve du Reich. Mais rien ne se passera comme prévu et les douze héros, cryogénisés, vont rester enfermés sous terre pendant plus de 60 longues années.
Le retour aux États-Unis, en 2008, est un choc incroyable. Le pays qu'ils avaient quitté a profondément évolué. Leurs proches ne sont plus. Même la morale a changé. Ce sont douze hommes seuls. Sans avenir. Issus d'un monde où le Bien et le Mal étaient clairement identifiés. Une aubaine pour un gouvernement qui se remet à peine de la guerre civile entre les héros modernes...

Voilà donc une bande de héros improbables, et plutôt kitsch, issus du Golden Age, une époque où les nouveaux encapés étaient légion mais n'étaient pas tous - et c'est peu de le dire - assurés de faire une grande carrière en kiosque. Le principe de cette série est simple et efficace, il consiste à prendre ces anciennes figures afin de les confronter au monde d'aujourd'hui.
Les protagonistes, bien que nombreux et peu (ou pas du tout) connus sont vite campés, avec leurs failles et un côté à la fois désuet mais terriblement humain. Car la série aurait pu flirter avec la comédie, en jouant sur les anachronismes vivants que sont ces fameux Twelve, mais Straczynski a résolument décidé de basculer du côté du drame. Certains sont rattrapés par leurs crimes passés, d'autres doivent faire face à la perte de proches (parfois tués dans des pays, comme le Vietnam, dont ils ignoraient jusqu'à l'existence), tous ont leurs petites lâchetés et leurs petits moments d'héroïsme. Un héroïsme âpre, fait de sacrifice et de douleur, et teinté de plus de réalisme que ce à quoi l'on pouvait s'attendre. C'est en effet la force de cette série : prendre ce qu'il y a de plus ridicule (ou ce qui a mal vieilli) chez les super-héros et transformer cette faiblesse en force ou, au moins, en réflexion non dénuée d'émotion.

Ce qui est proposé ici va bien plus loin qu'une sorte de réactualisation de noms tombés dans l'oubli. L'auteur nous invite à une réflexion sur la place de l'homme dans la société, sur le changement et l'évolution des mœurs, sur ce qui ne changera jamais aussi... sur le futile et l'essentiel, bref, à travers deux époques bien distinctes, c'est d'intemporalité qu'il s'agit réellement. Les lasers et les monstres mécaniques ont laissé la place à ce qui touche à l'universel ; l'ambition, la nostalgie, la culpabilité, l'amour, la peur... un peu de nous avec les costumes moulants en plus, histoire de ne pas trop grimacer en voyant nos exacts reflets dans les planches.
Le comic dans ce qu'il a de plus séduisant : alliance d'intelligence, de sensibilité et de divertissement. Une parfaite réussite.




Silver Surfer : Requiem

L'on termine ce petit tour d'horizon par une aventure du célèbre Surfeur d'Argent.

Le destin du Surfer l'a mené à travers l'espace, aux confins de l'univers. Il a assisté à la naissance de milliers de mondes. A la mort de nombre d'entre eux aussi. Il surfe depuis longtemps sur le cycle de la vie, entend avec toujours le même émerveillement le fracas des ouragans cosmiques, lorsque, dans la fournaise, la vie s'éveille ou s'éteint.
Norrin Radd arrive lui aussi à la fin d'un cycle. Mais avant de s'éteindre, il lui reste encore un petit périple à accomplir : savourer une dernière fois les merveilles de son monde d'adoption puis, en paix, s'en retourner mourir parmi les siens, sur Zenn-La.

Le Surfer n'étant déjà pas d'un naturel très gai (et ayant tendance à radoter longuement sur de la philosophie de bazar), l'on pouvait s'attendre au pire pour ses derniers instants, avec moult tirades sentencieuses à la clé.
Eh bien non ! Non seulement l'on échappe aux pièges que l'on sentait venir de loin mais, en plus, ce Requiem s'avère être des plus plaisants. Et sans fausses notes.

L'histoire se décompose en quatre parties : l'annonce de la terrible nouvelle et les tentatives de Richards pour y remédier, un petit interlude avec le Tisseur, l'intervention du Surfer dans une guerre interplanétaire et, enfin, les derniers instants sur Zenn-La. Le tout est parsemé d'une poésie discrète mais réelle (sur la beauté de l'univers notamment) ainsi que de quelques sermons moralisateurs (ah ben, c'est le Surfer hein...) qui restent suffisamment légers pour ne pas être indigestes.
L'on tombe dans les griffes de Straczynski dès le début, grâce à un texte d'un lyrisme certain (avec des références prestigieuses, Shakespeare en tête) et des dialogues plus légers, l'ensemble restant d'une grande fluidité.

L'on aurait pu croire que l'on avait là une mini-série à réserver aux inconditionnels du Surfer, or, l'histoire est suffisamment touchante pour convenir au plus grand nombre. Et même si vous ne vous laissez convaincre, dans un premier temps, que par l'esthétisme séducteur de ces quelques planches, vous devriez, en honnête lecteur, vous laissez emporter par cette chronique d'une mort annoncée. Car c'est un fait, parfois la gorge se serre et l'on se surprend à avoir les yeux un peu rougis.
Triste, beau et léger, un vrai grand et bon moment de lecture.




Cet aperçu du travail de Straczynski est loin de se vouloir exhaustif. Il reste bon nombre d'œuvres de l'auteur à explorer, dont Bullet Points, Dream Police, son run sur Thor ou même encore ses romans, comme Demon Knight ou Othersyde. Mais ces quelques comics permettent déjà, à travers la richesse de leur contenu et la maîtrise de leur forme, de constater à quel point J.M. Straczynski est un auteur exceptionnel.
Loin d'imposer ses idées ou sa morale à coups de clichés (et de pied au cul, comme certains auteurs), Straczynski opte toujours pour une méthode douce, construite, réfléchie, qui permet de remporter l'adhésion grâce à un parfait mélange de réflexion et d'émotion.
Les auteurs de cette trempe sont rares. Et d'autant plus précieux. Ils ne nous offrent pas seulement de magnifiques heures de lectures mais une magie permettant de supporter le réel, de mieux le comprendre, et peut-être même, au bout du compte, de le changer.