Les Seigneurs de Bagdad
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Retour sur Pride of Baghdad, ou la guerre et le monde des hommes vus par les plus majestueux des félins.

Guerre du Golfe. Bagdad. Un bombardement américain touche le zoo de la capitale. Quatre lions vont être ainsi libérés. Zill, le mâle du groupe, Safa, une chasseuse expérimentée, Noor, la belle rêvant des grands espaces, et Ali, le lionceau, se retrouvent livrés à eux-mêmes.
Ils vont devoir réapprendre à trouver leur nourriture seuls, à se défendre contre un monstrueux prédateur et à reconquérir leur habitat naturel.
Naguère, ils régnaient en seigneurs.
Aujourd'hui, ils sont en danger. A la merci du feu du ciel et d'un monde qu'ils ne comprennent plus.
La liberté a un coût. Ils vont l'apprendre, ensemble, de la plus amère des façons.

Ce magnifique récit avait déjà été publié par Panini, avec un résultat plus que douteux (les planches étant tronquées). Il a ensuite été réédité par Urban Comics, cette fois avec un retour au format originel et une nouvelle traduction, bref, une édition digne de ce nom pour le lectorat français.
Le scénario, se basant sur une histoire vraie, est de Brian K. Vaughan (Runaways, Buffy contre les Vampires, The Hood), les dessins sont de Niko Henrichon. Le travail graphique est purement exceptionnel, les dessins sont magnifiques et une grande puissance émane des planches. Quant à l'histoire, elle fait partie de ces contes, intelligents et poignants, qui permettent de transformer un simple divertissement en art fondamental.

Zill, noble guerrier félin, et un ennemi terrifiant, sous la plume de Brian K. Vaughan


— Alors tu es le mâle de ces catins ? Avant, on me jetait dans la fosse contre ceux de ton espèce. Vos crinières épongent bien le sang.
— Va-t’en… et personne ne sera blessé.
— Quelle générosité ! Mais je passe, chasseur.
— Je ne chasse pas... Je me bats !


Si les auteurs font bien parler les animaux, il ne s'agit pas ici d'un comic anthropomorphique, à la Grandville, mais d'un univers bien plus réaliste, dans lequel les dialogues "humains" viennent retranscrire un comportement animal que l'on imagine volontiers exact ou, tout du moins, vraisemblable. L'allégorie portant sur les victimes civiles des guerres est certes évidente mais l'on peut également voir dans cette œuvre une réflexion plus profonde sur le "mirage" de la liberté et les parfois protecteurs barreaux qui la limitent.
Les réactions des félins, découvrant une terre dévastée par l'Homme, sont aussi désarmantes que tragiques (le lionceau croyant voir par exemple, dans les mortelles stries des balles traçantes, de simples lucioles). Quant à la métaphore animale, elle n'amoindrit aucunement la violence de certains actes ignobles, notamment un viol collectif mis en scène avec une efficacité certaine.

La démonstration tient à la fois du drame, de l'essai philosophique et de la grande aventure. Et une lecture plus premier degré fera probablement frémir ceux qui sont déjà sensibles à la cause animale, certaines scènes étant d'une tristesse infinie. Car bien entendu, même si les cages sont parfois rassurantes, même si la liberté a un prix, rien ne remplace, pour l'Homme et, il faut s'en persuader, pour l'animal également, la sensation unique et délectable de pouvoir vivre sans entraves.

Un livre riche en émotions et aussi brillant sur le fond que la forme.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une histoire poignante, intelligente et d'une sombre poésie.
  • Des planches magnifiques.
  • Une ode à la liberté qui évite les niaiseries habituelles.
  • La beauté naturelle des félins. 
  • Une très jolie colorisation. 

  • RAS.