Girls
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Retour sur l'excellente série des frères Luna, Girls.

Ethan est un jeune homme plutôt mal à l'aise avec les filles, filles qui ne courent d'ailleurs pas les rues dans la petite bourgade campagnarde de Pennystown où il tient une épicerie. Du coup, il passe sa soirée au bar, à picoler un peu avec son pote Merv, en se lamentant sur la complexité des femmes et leur déroutante psychologie.
Ethan profite joyeusement de ce misérable vendredi soir pour se prendre une veste de la part d'une fille qu'il pensait "facile", suivie d'un direct dans la tronche. Et pour finir en beauté, il se fait même virer par le shérif. Il y a vraiment des soirs où l'on ferait mieux de rester chez soi...
Mais sur le chemin du retour, Ethan tombe sur une fille, seule, perdue au milieu de nulle part et entièrement nue. Il en profite pour l'inviter chez lui (et même la culbuter vu qu'elle ne demande que ça), et là, les véritables ennuis commencent.
Lorsque Ethan se lève le lendemain matin, la fille en question a eu le mauvais goût de pondre d'énormes œufs dans sa salle de bain. Ce qui est très malpoli. N'importe qui vous dira que ça ne se fait pas de pondre comme ça quand on n'est pas chez soi.

Bientôt, d'autres filles à l'étrange mode de reproduction vont sortir de ces œufs, grandir très rapidement et mettre le village entier en danger. En effet, si elles se montrent plus qu'amicales envers les hommes, elles n'hésitent pas à se précipiter sur toutes les femmes qu'elles croisent pour les trucider. Il suffirait de quitter le village pour se mettre en sécurité me direz-vous, seulement, cette brave ville de Pennystown [1] est maintenant entourée d'un étrange mur invisible apparemment impénétrable...

Aux manettes, l'on retrouve donc deux frangins : Joshua Luna pour le scénario et les crayonnés, Jonathan Luna pour les dessins et la colorisation. Girls arrive, à l'époque (entre 2005 et 2007), juste après le succès d'Ultra, un titre super-héroïque qui s'éloignait des sentiers battus. Cette fois, le duo aborde un thème plus SF/fantastique. Les quatrièmes de couvertures annoncent fièrement une filiation avec Stephen King en ce qui concerne les "ambiances lourdes et angoissantes". Je sais bien que coller une référence à cet auteur sur un bouquin peut déclencher des ventes, m'enfin, l'ambiance est tout de même très éloignée du style de King. Les Luna emploient ici une sorte de second degré, d'humour noir, qui n'est pas vraiment caractéristique des œuvres du plus célèbre habitant du Maine.
Ce n'est pas parce qu'il y a du fantastique et du suspense que tout ressemble automatiquement à du King. Pour vous en convaincre, il suffit de lire Dôme, sorti quelques années plus tard, et qui reprend le concept permettant d'isoler les habitants d'une petite ville. King, en partant du même postulat de départ, utilise un traitement narratif très différent, bien plus premier degré. [2]


C'est justement le scénario de Joshua Luna et son traitement des personnages qui vont faire de ce qui aurait pu rester une simple histoire d'épouvante, quelque chose de bien plus caustique. Les habitants de ce trou perdu sont en effet tous plus lâches, bêtes, irritants et cancaniers les uns que les autres. Ils vont cependant se retrouver, par la force des choses, obligés de coopérer, sans pour autant mettre leurs querelles et vieilles rancunes de côté. Ils ont peur mais n'oublient pas de s'engueuler pour un rien.
Du coup, non seulement il y a du suspense mais en plus, c'est souvent drôle (la famille Pickett, un peu les dégénérés du coin, vaut à elle seule le détour, notamment pour la stupidité du fils et les réactions du père). Même Ethan est tout sauf l'archétype du héros "Kinguien".

Graphiquement, si la colorisation est vraiment réussie, dans un style pastel convenant parfaitement à l'ambiance, les dessins, eux, sont le point faible de Jonathan Luna. C'est con pour un dessinateur.
En fait, les visages surtout souffrent d'un cruel manque de détails et de finition, tous se ressemblent, à tel point qu'il est parfois difficile de faire la différence entre personnages vieux et jeunes ou, pire encore, entre un homme et une femme. Même les cheveux et autres moustaches ont l'air "posés" sur le dessin, dans un effet postiche non voulu passablement ridicule. Niveau effets, l'artiste emploie massivement les flous, pour donner une impression de profondeur, ce qui peut dérouter un peu. M'enfin, là, c'est une question d'inclination personnelle.
Cette série en quatre tomes a été publiée chez Delcourt dans la collection Contrebande. Chaque volume comprend les covers originales ainsi qu'une carte des lieux qui évolue avec l'histoire.

Sorte de thriller fantastico-campagnard mâtiné d'humour grinçant, Girls est une pure réussite scénaristique. L'ambiance visuelle serait parfaite également sans le petit défaut des visages, un détail qui n'est pas suffisant pour se dispenser d'un excellent moment de lecture.



[1] Le jeu de mot sur la prononciation de Pennystown est voulu, "pénis" se disant aussi "penis" en anglais.
[2] L'une des façons de procéder n'est pas supérieure à l'autre, elles sont simplement radicalement différente dans l'approche et le style. Ce n'est pas parce que deux histoires se ressemblent sur le fond qu'elles sont racontées de la même manière.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une histoire originale et bien écrite.
  • Des personnages hauts en couleur.
  • Un humour acide très jouissif.
  • Une colorisation qui apporte un charme réel aux planches.

  • Des dessins parfois "faiblards", notamment les visages, trop lisses et interchangeables.