Zombie Cherry
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Tel le minuscule flacon rose fluo qui contient la potion miracle autour de laquelle tourne le récit, Zombie Cherry s’avère une décoction d’humour, de romance et d’un soupçon d’horreur, le tout maîtrisé et tenant en 3 volumes. L’histoire ne traîne pas, les idées s’enchaînent, les clichés sont battus en brèches et la mangaka, Shoko Conami [1], offre une conclusion des plus satisfaisantes à son intrigue tout en faisant la part belle à des questions fondamentales sur l’amitié, l’amour, la maladie, la vie et le trépas, via la métaphore du zombie.
Comme tous les manga de l’éditeur Akata, Zombie Cherry allie le fond et la forme. Une lecture attentive permet d’en déceler toutes les subtilités.

Les réveils s’avèrent difficiles pour Miu. Adoratrice des films et des revues traitant d’horreur, elle passe ses nuits les yeux rivés sur l’écran ou les bouquins. Son ami d’enfance et voisin, Haru, chimiste amateur, ne supporte plus de la voir se traîner à la manière d'un mollusque en cours. Il la force à ingurgiter quelques gouttes d’un remontant de sa fabrication, la cherry soup : une potion régénératrice de cellules, efficace durant une journée.
Miu, pleine de peps, va retourner au lycée et, telle une tornade, enfin arriver à lier une amitié avec le beau et peu loquace ténébreux de son cœur, grâce à leur passion commune pour l’horreur, surtout nipponne [2]. Lui qui passe son temps à décliner toutes les demandes de rendez-vous des lycéennes débordant d’œstrogènes, il invite Miu à l’accompagner voir un film d’épouvante. Mais pour être en forme ledit jour, elle abuse de la potion, en engloutissant l’intégralité du liquide douteux. Sur le trajet de son premier rencard, elle se tue bêtement, termine à la morgue et se relève... sans pouls. Elle retrouve son élu au cinéma avant, le soir même, de confier à Haru le problème qui étreint son palpitant : il ne bat ni pour vivre ni pour l’être aimé. Son voisin réalise qu’elle est devenue un zombie, tenant encore debout grâce aux effets de la cherry soup, et ne respirant plus que par habitude. Pour combien de temps ?

Miu doit dissimuler son statut de cadavre ambulant et poursuivre son existence de jeune fille en pleine bluette, car un second problème apparaît. En effet, Tôno ne déteste qu’une chose, dans le genre horrifique : les zombies. L’étrangeté de la situation va faire son chemin dans le cerveau de l’héroïne, qui après s’être découverte une rivale amoureuse dans la belle et douce Rio Hasegawa, percute enfin sur l’imminence de son trépas. Cette situation la perturbe profondément et les liens de son entourage lui seront d’un grand secours pour le reste de son existence.

La mangaka Shoko Conami recycle avec humour et malice les ficelles typiques des comédies romantiques lycéennes : le triangle amoureux, avec le beau ténébreux, l’ami d’enfance, la naïve, une rivale, une bande de filles prêtes à tous les coups bas pour empêcher le rapprochement entre l’héroïne et le séduisant garçon, la fête de l’école... Elle montre une adolescente qui assume d’être attirée par le physique d’un jeune homme, plus que par sa personnalité. Elle exploite aussi la quête d’identité propre à cette période charnière de la vie avec la belle Rio Hasegawa. Tout cela permet d’aborder des sujets plus délicats, dont le trépas, questionnant le temps qu’il reste et dont il faut profiter de la meilleure manière avant la fin. La fin de l’existence de l’héroïne, mais aussi, la fin de l’adolescence, la fin de l’enfance et des rêves, même horrifiques. Métaphore d’un changement d’état qui s’accomplit. Un zombie, c’est un cadavre, un corps malade en plein trépas, un monstre. Miu a côtoyé la mort. Son regard sur le monde est modifié par la conscience de son altérité. Se sachant en sursit, elle ne doit sa survie qu’à la prévenance de son ami Haru.

Zombie Cherry est une œuvre cathartique, métaphore d’une maladie, d’une malformation honteuse. Dans nos sociétés occidentales où domine une vision de l’impossible perfection du corps, où priment la performance et le paraître sur l’être, la mort même est perçue comme échec.
L’image de l’enveloppe humaine dégradée constitue un problème, facteur d’exclusion (psychologique et sociale) et de stigmatisation. Pourtant, la dessinatrice se refuse de représenter l’état d’entre-deux sur le mode de la faiblesse, de la déviance. Sur son blog, en 2012, l’artiste expliquait les retards de parutions de Zombie Cherry [3] par un enchaînement de problèmes de santé : violente anémie, opération suivant un infarctus, cancer de l’utérus...
L’auteur tisse des liens étroits et fins entre ses personnages, où les apparences s’avèrent trompeuses. Tôno, jeune homme taciturne a honte d’être jugé sur sa passion — l’horreur — alors que son physique fait craquer les filles à tour de bras ; il est heureux d’offrir une amitié sincère à Miu basé sur un point commun culturel ; Haru, très intelligent, protecteur et attentif à Miu, voit son rôle osciller entre le meilleur ami, l’ami d’enfance et le confident, le mettant dans une position peu enviable : il connaît par cœur sa voisine, mais il sait qu’il ne sera rien de plus pour elle. Il boude souvent, culpabilisant devant l’effet inattendu de sa cherry soup. Rio Hasegawa montre que son masque de beauté et de douceur dissimule la voix de la sagesse autant que le langage vipérin, et que son apparence n’est que construction ; elle n’est pas ce qu’elle parait au premier regard. Elle veut devenir autre et pour cela, le vit à sa manière contre l’avis de son père.
Le ton général, malgré une situation désespérée, demeure enjoué, loufoque grâce à son attachante héroïne maladroite, pétillante et pleine de bons sentiments. Miu ne remarque pas les brimades que lui font subir les filles jalouses, elle devient amie avec sa rivale, car elle interprète le monde par le prisme de ses yeux positifs.

Sous des couvertures pop et adorables, la dessinatrice gère une mise en scène efficace, alternant les moments loufoques et graves avec nuance et doigté. Certaines péripéties sont grand-guignolesques, à coups de perte de tête ou de bras, rendant les situations absurdes. Les expressions de Miu sont exagérées et participent au comique. Plus surprenant, la stylisation des yeux : simples, ils sont pourvus en leur centre d’un carré, ce qui déroute au premier abord. Le trait est propre, démonstratif. Grâce à l'utilisation de trames pétillantes, la bonne humeur rayonne et permet de ne pas faire tomber l’histoire dans un pathos malvenu, faisant passer la gravité de la situation avec tact.

Zombie Cherry n’est pas un récit centré autour des zombies tels qu’on les connaît, surgissant des tombes ou naissant suite à une infection bactériologique et dévorant les cerveaux des vivants. Ce manga traite de l’éclosion et de l’acceptation d’un amour dans des conditions difficiles. L’héroïne acquiert un autre état malgré elle, avec tout ce que cela comporte de prise de conscience sur sa mortalité.
Shoko Conami mélange la comédie, la romance et le drame grâce à son humour décapent et à son écriture subtile. l’emploi de la culture horrifique n’empêche pas l’œuvre d’être accessible à tous, usant de ce thème comme d’une métaphore brillante. Pour lire ce titre, il faudra un peu farfouiller dans les étagères des libraires, car il est paru entre 2016 et 2017.


[1] Shoko Conami, déjà connue en France pour Shinobi Life, publiée aux éditions Kaze, une série en 8 volumes où une lycéenne est protégée par un ninja venu du passé.
[2] La mangaka connaît ses classiques : dans le premier volume se trouve une case dessinée à la manière d'Umezu, auteur principalement édité en français par le Lézard Noir.
[3] Les mangas sont publiés en feuilleton dans des magazines et, depuis peu, sur internet, avant que les différents chapitres soient compilés en recueils.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Mort de l’héroïne.
  • Des rebondissements qui s’enchaînent bien.
  • Graphisme assez personnel de l’artiste, adapté au ton comique, surtout pour le traitement des yeux.
  • Édition française soignée.
  • Des questionnements universels amenés avec intelligence.
  • Complet en 3 tomes, avec une vraie conclusion .

  • Personnages masculins assez classiques.