First Look : Blacksad
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L'on se lance sur les traces d'un chat au charisme ravageur avec le premier tome de Blacksad.

Nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer le riche univers de Blacksad en vous présentant le jeu de rôle qui en est tiré, mais c'est cette fois du premier tome de la BD qu'il sera question.
Le scénario est de Juan Diaz Canales, les superbes dessins sont l'œuvre de Juanjo Guarnido.
Quelque part entre les Ombres, le premier album, sort en 2000 chez Dargaud. La série compte cinq tomes, le dernier étant sorti en 2013.

Ce premier opus donne le ton et nous plonge dans une ambiance de polar noir, façon années 50. Le lecteur suit John Blacksad, un privé dont l'ancienne petite amie vient d'être assassinée. Lorsque Blacksad trouve une piste, il se rend compte qu'il commence à être gênant pour certaines personnes. Même la police est priée, par un ordre venant "d'en haut", de ne plus se préoccuper de l'affaire.
Mais ce ne sont pas quelques menaces, un passage à tabac et une tentative de meurtre qui vont arrêter John, bien décidé à rendre justice à la mémoire de son amie, quoi qu'il en coûte...


Blacksad aurait pu être un classique "hardboiled" parmi tant d'autres, avec bars malfamés, filles de joie, privés taciturnes et flics pourris, si l'aspect anthropomorphique n'était pas venu donner au tout un aspect aussi original qu'enrichissant.
En effet, les animaux sont ici employés d'une manière très intelligente. Si l'on se limite parfois à la caricature (un flic rusé sera un renard, un boxeur un gorille), l'auteur parvient aussi à donner parfois un sens plus subtil à ses choix animaliers. Ainsi, le chef de la police que l'on tente de museler est... un chien. Parfois, un contre-emploi peut aussi faire sens, par exemple les motards (dans un autre tome), représentés en moutons pour rendre compte de l'effet de groupe de ces bandes mais aussi pour prendre le contrepied de la liberté et de l'anticonformisme souvent associée aux Harley (alors qu'il s'agit aussi d'une certaine manière d'une mode).

La narration est largement basée sur les pensées (sorte de voix off) du héros, ces pavés de texte retranscrivant l'état d'esprit du personnage tout en permettant quelques ellipses.
Niveau intrigue, pas vraiment de grosse surprise ou de suspense, l'enquête se révélant très simple et (un peu trop) rapide. Les morales véhiculées par la série sont également, en général, très basiques et extrêmement caricaturales : le méchant riche qui se croit au-dessus des lois, les animaux au pelage blanc, forcément racistes dans Arctic Nation, etc. Dommage qu'il n'y ait pas plus de nuances, le fric ne faisant pas forcément d'un type bien un salaud et le racisme n'étant pas à sens unique (le bar présenté dans ce tome, où les clients reptiliens n'acceptent pas les "poilus", était une bien meilleure métaphore, car bien plus universelle).
Du point de vue du travail du scénariste, sur le fond, ça reste quand même très proche du néant (enfoncer des portes ouvertes ou conforter des idées reçues n'a rien de bien valeureux ou intellectuellement intéressant).


Par contre, en ce qui concerne l'aspect graphique, c'est une tuerie. C'est tout bonnement magnifique. Les planches sont incroyablement détaillées, les décors fouillés, les visages d'une expressivité exemplaire (les tronches des hommes de main - le rhino et l'ours - pendant l'interrogatoire sont exceptionnelles), permettant d'afficher les moindres nuances d'un large panel d'expressions.
Les jeux de lumière sont sublimes et la colorisation, à l'aquarelle, magnifie le tout et permet de créer des atmosphères très différentes et retranscrivant parfaitement l'ambiance des scènes.
Bref, visuellement, c'est un sans faute.

Du polar classique mais à l'intérêt relevé par l'utilisation habile de l'anthropomorphisme et bénéficiant de dessins d'une grande qualité. Un scénario un peu plus solide et sortant des sentiers battus aurait pu faire passer Blacksad du rang de très bonne BD à celui de chef-d'œuvre.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La grande qualité du dessin.
  • L'intelligence dans l'utilisation des différents animaux.
  • Un personnage principal charismatique et qui, forcément en tant que chat, à la classe !

  • Une intrigue simpliste.
  • Un propos très caricatural qui vise à enfoncer des portes ouvertes ou conforter des dogmes socialement admis.