Retour sur la réalisation de Star Wars : Rogue One
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À l'occasion de la sortie en DVD et Blu-Ray de Rogue One : A Star Wars Story (son titre complet), un film que nous avons beaucoup aimé, voici un portrait de son metteur en scène Gareth Edwards, rédigé avant la sortie du long-métrage [1]. Il est complété par les aléas du tournage et de ce qui en a découlé.

En 2010, le public découvre le film Monsters. Angoissant et horrifique, ce premier long-métrage de Gareth Edwards, 35 ans à l’époque, surprend et reçoit un bel accueil. Les fameux monstres du titre ne sont pas spécialement montrés. Pas de surenchère d’effets spéciaux et de gore. Au contraire, la force de Monsters résulte de la tension permanente et du duo d’acteurs principaux : Scoot McNairy (qui a depuis joué dans Argo et Batman vs Superman : l'Aube de la Justice) et sa compagne dans la vie, Whitney Able, plus discrète. Gareth Edwards avait écrit le scénario et s’est occupé à la fois de la création des décors, de la direction de la photographie et bien sûr de la mise en scène. Il était aussi responsable du design des monstres ! En signant un joli score au box-office avec un film indépendant, Edwards se bâtit immédiatement une solide réputation.  

Quelques années plus tôt, il avait réalisé et écrit le téléfilm mi-documentaire mi-fiction End Day (2005), puis s’était occupé des effets visuels des documentaires Hiroshima : History of World War II et In the Shadow of the Moon (2007). Repéré par les studios, on lui confie le reboot de Godzilla, qui sort en 2014. Nouveau film de monstre. Mais totalement différent dans le traitement que son Monsters. Edwards pioche dans la culture nippone mais c’est une semi-réussite : un début alléchant puis une tournure décevante, avant une suite et fin trop prévisible. Côté technique, l’univers mis en place est plausible, Godzilla en impose, mais le tout manque cruellement de scènes épiques et d’émotion. Edwards produit en même temps une suite, nettement inférieure à Monsters, intitulée Dark Continent.


Pressions de la production : un écho à Trank et Ayer


Disney fait appel à ce réalisateur britannique pour le premier spin-off de Star Wars. L’homme, fan de la saga, est ravi et honoré. La nouvelle est très bien accueillie par les admirateurs de la franchise de Georges Lucas. On découvre dans la foulée que son confrère Josh Trank est pressenti pour le second spin-off prévu (sur trois au total). Il est nécessaire de revenir sur lui, pour mieux comprendre ce qu’il s'est passé sur Rogue One depuis l'été 2016, qui a peu à peu « échappé » à Edwards. Josh Trank avait réalisé Chronicles, en 2012, relatant le thème des super-héros de façon minimaliste et noire. Choisir de jeunes réalisateurs (Edwards est né en 1970, Trank en 1984), peu habitués aux grosses productions, avec leur style propre et leur côté indépendant est une très bonne idée malgré les risques (liberté revendiquée et inexpérience relative). Trank tourne ensuite le reboot des Quatre Fantastiques, qui sort l'été 2015. Sa vision, à nouveau sombre et dans une veine réaliste, promet un film de genre peu familial. La Fox le somme de revoir sa copie et de changer drastiquement des éléments. Le metteur en scène refuse. Remercié, il n’a plus la main sur son œuvre et n’hésitera pas à dire ce qu’il pense de ces méthodes et des pressions subies. Résultat : Les Quatre Fantastiques est raté (la première partie du film est intéressante mais on constate aisément le changement de ton et de direction dans la deuxième).  Le réseau hollywoodien s’active : Josh Trank est définitivement écarté de toutes nouvelles productions liées à Star Wars (et par extension à Disney et Marvel).

Autre exemple récent qu'il est utile de rappeler, du côté de la concurrence, chez Warner Bros qui possède la licence DC Comics. David Ayer (Fury) se voit confier la mise en scène du (normalement) très violent et sombre Suicide Squad pour une sortie en été 2016. Mais quelques mois avant, Batman vs Superman : l’Aube de la Justice de Zack Snyder est froidement accueilli par la critique et le public. Warner exige d’Ayer un Suicide Squad plus léger et convenu. La première bande-annonce, promettant un film noir et original, est très éloignée des suivantes, nettement plus « colorées et fun ». Le long-métrage cartonne en salles mais essuie, à raison, de violentes critiques par le public et la presse bien que l'affaire reste très rentable. David Ayer, à l’inverse de Josh Trank, s’est plié aux exigences et pressions des producteurs.


L’Empire (Disney) contre-attaque

Quelques mois avant la sortie de Rogue One, Gareth Edwards a été victime du même sort que ses deux confrères puisqu’il a gentiment été écarté de son propre film, à cause de la noirceur de celui-ci. Le tournage de son Star Wars a redémarré (en été 2016, soit après la fin officielle du tournage), le ton des projections ayant été jugées pas assez grand public et familial… Pire, le réalisateur est remplacé au montage par Tony Gilroy, à qui l'on doit Jason Bourne : L’Héritage. Edwards s'énervait quelque peu à l'époque en déclarant qu'« il y [avait] vraiment une frontière mince dans Star Wars : si on va légèrement à gauche ce n'est plus Star Wars, c'est un autre film de SF, ça ne semble pas juste. Et si on va légèrement à droite, on ne fait que copier ce que George [Lucas] a fait. Le processus de réalisation de ce Rogue One était donc une danse pour faire de ce film quelque chose de nouveau, qui paraisse frais ». Réjouissant sur le papier. Mais visiblement la chose était vue d'un très mauvais œil par la firme aux grandes oreilles.


Signes d’inquiétudes évidents chez Disney : le compositeur français Alexandre Desplat a quitté à son tour le vaisseau mi-septembre 2016, soit trois mois avant la sortie internationale ! Remplacé par Michael Giacchino, une valeur sûre et talentueuse, Desplat avançait un problème d’agenda. Difficilement crédible selon l'hebdomadaire Le Point, qui évoquait au moment des faits de nouvelles pressions internes. Cela confirmait aussi que Gareth Edwards n’avait plus la main sur son film…

Le talentueux réalisateur multitâches pouvait-il proposer plus original que Le Réveil de la Force ? Oui, et il a réussi (c'était loin d'être difficile). Mais avec la pression et les multiples chamboulements, a-t-il livré SA version de Rogue One ? Pas sûr. Il tenait quand même à rassurer les fans avant la sortie : « Le ton sera sombre », ajoutait-il en complément des propos de Kathleen Kennedy, productrice et présidente de Lucasfilms depuis le rachat de Disney. Celle-ci affirmait que « l'histoire ne changera pas et le film qui sortira sur les écrans est celui que nous avons toujours voulu faire ». Gareth Edwards n’hésitait pas non plus à dire que « si vous ne prenez aucun risque, qu’est-ce que vous apportez de neuf ? ». Allô, J.J. Abrams ?


Heureusement pour nous, la version diffusée dans les salles, disponible depuis quelques semaines en DVD et Blu-Ray, nous a prouvé que si l'œuvre de Gareth Edwards n'était pas forcément « entièrement » conçue par lui-même, elle était plutôt réussie (en est-elle ressortie grandie ? On ne le saura sans doute jamais). En effet, on a appris peu après la sortie de Rogue One que (attention spoilers) la scène finale avec Dark Vador avait été un rajout imposé par Disney et que le sort funeste de tous les héros était également souhaité par Disney ! Edwards avait écrit son scénario en sauvant son couple de héros, persuadé que Disney refuserait de les tuer, hors les producteurs ont là aussi imposé une mort pour tout le monde. Un rappel intéressant du rôle de superviseur que devraient avoir tous les producteurs (sans pour autant intenter à l'aspect créatif et la vision souhaitée du réalisateur) mais on aurait aimé voir LA version d'Edwards d'une façon ou d'une autre quand même. Rappelez-vous des scènes des bandes-annonces totalement coupées du montage final… Peut-être qu'Edwards a trouvé un bon équilibre (de la Force) pour ne pas accepter toutes les pressions de la production (à l'instar d'Ayer et son Suicide Squad) ni pour tout refuser (comme Trank et ses Quatre Fantastiques). Bien joué Gareth mais propose-nous un jour un montage de ta vision !


[1] Cet article est paru en octobre 2016 dans le magazine Ciné Saga #15, entièrement consacré à Star Wars - Rogue One. Le second paragraphe (sur Godzilla) avait malheureusement et involontairement été supprimé, il est donc rétabli sur cette version. La dernière partie a été ajoutée puisque le film est sorti entre temps.