Quelques minutes après minuit
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Dans deux semaines, avec la nouvelle année, une flopée de films dotés d'une aura impressionnante viendra vous tenter, tâchant de vous attirer vers les salles obscures malgré la hausse incessante des prix du ticket. Parmi eux, on trouve l'adaptation cinéma d'un magnifique ouvrage paru initialement en 2011 et qui a conquis des millions de lecteurs dans le monde : Quelques minutes après minuit en est le titre français, plutôt bien trouvé et éloigné de l'intitulé initial (A monster calls). Bien que presque systématiquement édité dans des collections jeunesse (l'exemplaire que j'ai lu était paru chez Gallimard Jeunesse en 2012, avec une traduction remarquable de Bruno Krebs), il propose une densité et une richesse de lecture qui séduira les plus grands, même les plus exigeants.

C'est l'histoire d'un garçon qui souffre. Doublement. Sa mère est gravement malade et un cauchemar récurrent trouble profondément ses nuits agitées. Une nuit, un monstre apparaît, un être imposant, aussi vieux que la Terre elle-même, qui vient réclamer du jeune Conor une chose qu'il se refuse à fournir : la Vérité. Devant son hésitation, le Monstre lui propose de revenir, pour raconter trois histoires, avant que Conor se décide, enfin, à dire la sienne.


Sous ce résumé, le lecteur habitué sent poindre le goût du roman initiatique, de ce genre de textes relatant le difficile passage à l'âge adulte, à l'heure de faire les choix cruciaux qui détermineront notre existence. Cela aurait pu n'être que cela, et aboutir à un bon livre. Cela m'a paru bien davantage, une œuvre cathartique, chargée de symboles et, surtout, terriblement émouvante.

J'avoue, Quelques minutes après minuit m'a profondément touché, comme rarement. Le style particulier, un peu haché, fait de redondances courtes traduisant à merveille les hésitations de la pensée, les doutes et sentiments du narrateur, loin de rebuter, donne de l'intensité, de l'authenticité à ce conte poignant et très fort ; il confère une puissance incroyable aux émotions de l'enfant qui est au cœur de l'œuvre, oscillant entre deux mondes, cherchant à se raccrocher à ses souvenirs tout en osant (mais à peine) se projeter sur un avenir rien moins qu'incertain. Les maladresses apparentes étayent l’émoi de Conor, qui transpire à chaque page, tout comme la peur, l'angoisse, les joies, les frustrations et les peines et surtout cet incroyable amour filial, si extraordinaire et pourtant si commun à tous les enfants du monde. Inspiré ouvertement d’un synopsis de Siobhan Dowd, auteure prometteuse trop tôt disparue, le livre met en lumière le talent incontestable de Patrick Ness pour retranscrire ce qui est à la lisière entre les réalités, pour donner corps aux cauchemars lorsqu’ils s’immiscent dans notre quotidien. Les lecteurs de Stephen King y trouveront cette même faculté singulière à placer l'enfant au cœur de l'intrigue, à déplacer le point de vue afin de nous faire partager les émois intenses du garçon.


Reste à espérer que le film parviendra, au moins en partie, à retranscrire à l'écran cet univers complexe, à la fois lumineux et sombre, fait des incertitudes et des peurs viscérales d'un enfant qui craint (d'affronter) l'avenir. D'autant que le livre y parvient superbement, grâce également aux magnifiques illustrations de Kay, qui transcendent le récit et l’emportent sur une autre dimension où les spectres d'antan dansaient sur le mont Chauve, en une ère où les dieux et les hommes se côtoyaient.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une écriture simple et limpide qui traduit bien le caractère troublé de la personnalité de Conor.
  • Des illustrations splendides.
  • Une histoire émouvante, chargée en symboles.

  • L'utilisation intensive de répétitions et de parenthèses peut nuire au confort de lecture, mais colle parfaitement aux émotions ressenties par les protagonistes.