Une contrée paisible et froide
Par
La froideur de la neige et la chaleur du sexe et du sang forment le contraste saisissant situé au cœur d'Une Contrée paisible et froide.

C'est le dernier jour de Bittersmith en tant que shérif. À plus de 70 ans, le vieux en a pourtant encore sous le coude. Et dans le froc. Après une petite pipe matinale soutirée par chantage, il apprend la mort de l'un de ses nombreux bâtards. Burt a été retrouvé une fourche plantée dans la gorge. Sa fille a disparu. Tous les soupçons désignent Gale G'Wain, jeune apprenti épris de la demoiselle en question.
Dehors, la tempête fait rage. Sous un blizzard cinglant, Gale tente de s'enfuir. Mais déjà, il a la milice aux trousses. Et le vieux Bittersmith, bien décidé à s'offrir un dernier baroud d'honneur avant la retraite.
Dans cette partie du Wyoming, on ferme les yeux sur bien des choses, mais lorsqu'un gamin s'en prend à l'un des membres de la communauté, même si c'était le dernier des salauds, on sort les flingues. Et on traque.

Premier roman de Clayton Lindemuth, publié en France l'année dernière au Seuil, Cold Quiet Country est un polar enraciné dans les profondeurs de la campagne américaine, un peu dans la lignée de Bull Mountain ou Une semaine en enfer. Et il s'avère foutrement efficace.
L'histoire est censée se dérouler au début des années 70 mais la date n'a pas vraiment d'importance, les personnages dépeints pouvant se transposer plus ou moins à n'importe quelle époque. Ceux-ci sont tous passablement heurtés par la vie, parfois à la fois bourreaux et victimes : Gwen, violée régulièrement par son paternel, Gale, abandonné à la naissance, ne mangeant pas toujours à sa faim, Liz, manipulatrice enceinte de... son propre père. Il y a les salauds ayant parfois une facette humaine (qu'il faut tout de même bien chercher), comme Burt. Et puis il y a les pourritures intégrales, ce vieux schnock de Bittersmith, tanné, rusé et foncièrement nuisible.

Tous ces destins s'entremêlent sur fond de blizzard et de campagne désolée. L'intrigue progresse par petites touches, à coups de flashbacks éclairant progressivement le passé des protagonistes. L'on peut parfois regretter la passivité, voire l'attentisme, de certains personnages mais globalement le drame se met en place avec une certaine logique (et une touche de fantastique), jusqu'à la confrontation dans un chalet isolé, encerclé par des motoneiges.
Techniquement, la construction choisie par l'auteur est assez déroutante, avec deux personnages différents s'exprimant à la première personne et de fréquents changements de narrateur qui ne sont pas toujours bien amenés, causant parfois un léger flottement. L'essentiel est cependant là, avec une vraie émotion qui se dégage de l'ensemble, un savoir-faire évident (Gale est un exemple type de personnage auquel le lecteur va s'identifier grâce à un procédé simple mais efficace, cf. cet article) et des scènes parfois crues mais sans voyeurisme outrancier ou complaisance.

Assez moral et même puritain finalement dans sa conclusion à base de souffrance récompensée et de punition divine pour les "méchants", ce roman s'avale d'un trait comme un verre de scotch qui vous arrache un rictus et vous réchauffe le ventre. Pas forcément du quinze ans d'âge, racé et subtil, plutôt un truc artisanal issu d'un alambic planqué au fond des bois.
Rustique mais percutant.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Fluide et prenant.
  • De véritables salauds, détestables à souhait.
  • Le Wyoming sous la neige.
  • Style agréable.

  • Une construction parfois un peu maladroite.
  • Le comportement parfois étrange de certains personnages.