Ballad With A Solitary Blade
Par
Suite au décès de son grand-père, Cheyenne Valentine quitte la maison de son enfance pour retrouver un mystérieux chef d’escadron, Zorin le rouge. Cet ancien militaire se trouve être l’assassin de ses parents. Désormais orpheline, sans attache, son unique raison de vivre devient celle de rencontrer cet homme, sans savoir si elle souhaite lui régler son compte ou non. Rompue aux techniques de combat, elle parcourt un monde qui mélange allégrement le Japon féodal et le Far West. En chemin, elle croise Apache, un mercenaire qui décide de la rejoindre dans sa quête. Ce guerrier borgne est en quête de vengeance car son groupe, les Maroboshi, fut décimé par ordre de l’empereur. De plus, Cheyenne lui rappelle sa jeunesse…
Sans en dévoiler plus, les héros s’opposeront à de singuliers adversaires dans des affrontements sanglants, traverseront des paysages variés… et la relation tendue du début entre les deux protagonistes fera place à des sentiments amoureux réciproques.

Les deux premiers opus sont sortis en 2014 chez Nats Éditions et le dernier volet arrivera cette année. Scénarisée par Abacabu Rônin et dessinée par Linja, cette « romance d’aventure » - comme l’indique la quatrième de couverture - ne cache pas son influence plus que flagrante pour l’œuvre de Samura Hiroaki, L’habitant de l’infini [1] tant au niveau du graphisme que de l’histoire.

Ballad With A Solitary Blade utilise des ingrédients classiques : une héroïne désirable, mais pleine de ressources, un héros ténébreux et redoutable, une flopée d’adversaires affreux, des combats sanglants, de l’aventure, de l’action et de la romance avec parfois pas mal de dialogues pour expliciter certains points scénaristiques.


Dans le premier volume qui plante le décor, l’ensemble est très irrégulier tant au niveau du contenu que du dessin. Le travail de Linja est desservi par son absence d’identité graphique forte, trop marquée de son inspiration première avec laquelle on ne peut que comparer. Son trait pêche par les perspectives de certains objets et bâtiments, ainsi que des proportions corporelles mal gérées. Certains arrières-plans manquent de finitions et laissent un sentiment de vide et d’inachevé. Une amélioration est visible sur le second volume, mais mériterait d’être plus poussée.
Le découpage des planches est inégal. Quelques scènes sont plutôt réussies, par exemple lorsque la jeune femme quitte la maison de son enfance ou durant la parade célébrant l’empereur Teiki, et par moment, il est très dur de suivre l'action. Il faut ajouter à cela des emplacements de bulles parfois mal disposées et la lecture devient plus laborieuse. Le choix des polices de caractères n’est pas des plus judicieux, et le lettrage peu agréable à parcourir (les textes touchent les bords…). Il n’y a quasiment pas de différence entre un texte parlé, pensé ou narré. Le lettrage semble réalisé sous Photoshop et non avec un logiciel dédié tel qu’ In design. La numérotation des pages est absente [2].
L’avertissement concernant le sens de lecture inversé n’est pas très gracieux dans sa mise en page ; il en va de même pour les couvertures.

L’univers brossé est assez flou : est-ce le Japon ? Un pays imaginaire ? Un empereur qui gouverne, mais qui se dissimule sous un Kagemusha [3], des kimonos, des armes blanches, des patronymes, des surnoms et des mots japonais jalonnent le récit sans que le lecteur en sache plus. Mais, et c'est un bon point, l’histoire est assez dense. Entre une jeune femme qui souhaite renouer avec son passé pour se construire un avenir, un homme qui cherche une forme de rédemption et un monde singulier, pas le temps de s’ennuyer.
Quelques touches d’humour présentes jouent sans surprise sur le physique de l’héroïne ou d’une tierce jeune femme dont les seins seront dénudés.

Certains choix laissent perplexe : le sens de lecture japonais pour une œuvre d’origine francophone, un titre en anglais dont la traduction en français est plus poétique !…
Le terme de « manga » est mis en avant par l’éditeur… Un manga est une bande dessinée native du Japon. Ils sont publiés majoritairement en noir et blanc et généralement dans de petits formats. Ici, on peut deviner que la dénomination « manga » désigne l’ensemble petit format + noir et blanc et une pagination plus importante que la BD franco-belge traditionnelle (46 pages couleur…). C’est oublier que depuis des décennies - et bien avant la déferlante manga - tout un pan de la production BD européenne parait dans des formats poche, en noir et blanc et avec une pagination fournie. On retourne cela notamment dans l’underground, les romans graphiques, mais aussi, avec des récits plus grand public et variés, les fumetti, ces bandes dessinées italiennes tels que Le grand Diabolik ou Dampyr voire Tex. Il aurait été plus judicieux d’utiliser le terme de "global manga" ou le néologisme "manfra" qui permet de marquer la distance nécessaire avec l’influence nippone.


Ballad with a solitary blade est une œuvre qui aurait gagné à être peaufinée sur tous les plans : proposer des choix artistiques plus forts sans rogner sur l’inspiration et l’hommage à la culture japonaise tout en étant publiée dans le sens de lecture occidental. Disponible en version papier au format A5, cette bande dessinée qui emprunte des codes du manga est aussi accessible sur support numérique. Une curiosité.

Le blog de Linja, la dessinatrice : http://watashi-no-e.over-blog.com/
Celui de Abacabu Rônin le scénariste : http://www.sayonara-cyber-banzai.fr/
Le site de l’éditeur Nats Editions : http://www.nats-editions.com/


[1] Blade of the immortal / Mugen no Junin, 30 volumes, histoire complète chez Casterman. Ce manga est un must have du chambara. Son auteur a aussi œuvré dans le western, avec Emerald (inédit en français).
[2] Dans les crédits du livre, on apprend que le scénariste a lettré lui-même sa BD...
[3] Kagemusha qui signifie "l'ombre du guerrier", désigne une doublure qui occupe la place d'un personnage haut placé... que l'on retrouve dans le film éponyme d'Akira Kurosawa, sorti en 1980.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une histoire dense.
  • Un mélange Far West - Japon féodal original.
  • Quelques belles planches et beaux découpages.

  • Sens de lecture japonais pour une œuvre francophone.
  • Un dessin ne parvenant pas à s'affranchir de ses sources d'inspiration.
  • Le lettrage et les phylactères mal pensés.
  • L'ensemble très inégal.
  • Le texte est parfois lourd : mots mal choisis, répétitions involontaires, abondance du terme « enfoiré »…